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Que les Allemands prennent la direction du développement intellectuel et économique des autres races, qu’ils leur apportent les trésors de la science germanique et l’esprit d’entreprise, mettant en valeur les richesses naturelles de tant de régions encore si peu exploitées, ils ne regretteront plus leur influence bureaucratique et ces places dont les maigres émolumens étaient l’objet des poursuites de tant de familles. La langue allemande imposée était honnie par les autres races comme le signe et l’instrument de la domination étrangère ; dès qu’on aura accordé aux autres idiomes la place qui leur revient, l’allemand sera au contraire accueilli, appris partout, comme le moyen de puiser à une source de culture intellectuelle supérieure.

L’heure a sonné où les Slaves vont prendre leur essor. Quel est l’avenir réservé à cette jeune race, le dernier venu des essaims aryens passés en Europe ? De même que les Germains, par la branche anglo-saxonne, s’emparent d’une moitié du globe, sont-ils appelés, eux, à dominer dans l’autre ? Il est difficile d’apprécier leurs aptitudes, car il est certain qu’ils n’ont pu encore donner nulle part la mesure de leur valeur[1] : ils ont toujours été asservis sous des maîtres d’un sang étranger, en Russie non moins qu’en Autriche et en Turquie ; mais aujourd’hui ils prennent conscience d’eux-mêmes, ils cultivent leur langue, ils recueillent leurs traditions et y puisent l’orgueil national, ils veulent prendre la place qui leur revient, et d’une ou d’autre manière ils l’obtiendront. Le gouvernement et les Allemands-Autrichiens, loin de contrarier ce mouvement, doivent le favoriser. Il leur apportera honneur, puissance et richesse. Ce n’est qu’à ce prix que l’Autriche vivra. Supposez que dans tout l’empire-royaume les Slaves soient satisfaits, libres et prospères, que l’instruction primaire soit répandue dans leurs campagnes, le haut enseignement donné avec éclat dans leurs universités, que l’industrie et l’agriculture perfectionnée multiplient les richesses de ces belles provinces, que chaque groupe, Croates, Slovènes, Tchèques,

  1. Je n’ignore pas qu’on a publié en Bohème maints volumes qui démontrent que l’humanité doit plus aux Slaves qu’aux Germains. Pour le prouver, tout homme éminent qui a une goutte de sang slave dans les veines ou une terminaison slave à son nom est baptisé slave. Cela n’est pas sérieux. Cette race sera ; elle n’a pas encore été. Elle a des qualités particulières : beaucoup de finesse, d’imagination, de goût pour la musique et la poésie, d’aptitude pour apprendre les langues, l’intelligence très vive. Les officiers autrichiens m’ont dit que le soldat slave était bien plus tôt instruit que l’Allemand. L’administration autrichienne fourmille de Slaves. Leurs traditions étant toutes démocratiques, c’est une force dans un siècle de démocratie. Tant qu’ils ont échappé à l’influence allemande, ils n’ont connu ni la noblesse ni la féodalité, et la communauté des terres maintenait l’égalité. Ils ont la grâce, le charme, la distinction. Ce qui parait leur manquer, c’est la fermeté virile, la persistance invincible du Saxon à la tête carrée. Les Polonais toujours, les Tchèques jusqu’au temps héroïque des Hussites, ont montré que ce n’était pas du moins la bravoure qui leur faisait défaut.