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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 83.djvu/924

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et auquel les protectionistes regrettent peut-être de ne s’être pas ralliés à cette époque.

Il est plus difficile de savoir au juste ce qu’on entend aujourd’hui par liberté commerciale, parce que ceux qui suivent ce drapeau ne lui donnent pas tous la même signification. Les uns sont demeurés fidèles à l’idée première, et leur programme est resté celui de Bastiat. Les autres ne s’expliquent pas bien nettement, ils ne font guère de professions de foi explicites, et se gardent de programmes compromettans. Il faut donc, pour s’éclairer, regarder aux actes autant qu’aux paroles. Or les droits d’entrée ont été supprimés pour certains articles, pour d’autres ils ont été réduits à un chiffre illusoire ; on ne les paie même plus, grâce à la tolérance de l’administration pour le trafic des acquits à caution, et en fin de compte le trésor a déjà perdu plus de 30 millions de recettes annuelles. En rapprochant diverses autres circonstances, on est amené à conclure que dans certaines régions liberté commerciale est synonyme de suppression des douanes ; il est difficile de ne pas croire qu’on nous mène discrètement et sans bruit à cette suppression.

Eh bien ! c’est sur ce point qu’il faut s’expliquer sans détour. Si dans un avenir plus ou moins prochain on projette de supprimer les douanes, qu’on en convienne franchement. La question sera posée, elle se discutera, et l’opinion publique sera mise en demeure de se prononcer : surtout qu’on n’ait pas la malheureuse pensée de rien faire désormais arbitrairement ; outre qu’il s’agit d’intérêts trop nombreux et trop respectables pour ne pas leur permettre de se faire entendre, on sait maintenant ce qu’il en coûte d’avoir accompli le traité de commerce par un coup d’autorité. Si on avait cru la liberté commerciale comprise et adoptée par le pays, l’attitude du corps législatif dans la session de 1868 a montré combien on se trompait. Il a cédé sous la pression du gouvernement, mais à regret et sans être convaincu. Il faut donc s’expliquer sans retard, car on a déjà été trop loin dans cette voie, et, tout en parlant sans cesse de liberté, on a porté de graves atteintes à l’égalité devant la loi. Dans les idées protectionistes, l’inégalité, la suppression même des droits n’avaient rien de choquant. Il était naturel et légitime de mesurer la protection aux diverses industries suivant leurs forces et leurs besoins. Il n’en est plus ainsi sous le régime de la liberté commerciale, où les douanes ne doivent être qu’une des formes de l’impôt. De même que tous tes citoyens sont soumis à l’impôt sans autre exception, que celle qui résulte de l’indigence régulièrement constatée, de même tous les produits étrangers qui passent la frontière doivent acquitter un droit d’entrée, sauf le cas où ce droit serait tellement minime que la perception en deviendrait onéreuse. Il