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cette traduction avec beaucoup de soin, et ce qui lui assure une grande autorité, c’est que toutes les feuilles ont passé sous les yeux de l’écrivain anglais. Le traducteur a d’ailleurs fait précéder l’ouvrage d’une introduction bien faite, qui témoigne d’une connaissance éclairée, quoiqu’un peu partiale, de l’état actuel des problèmes philosophiques. Saisissons cette occasion de signaler aux lecteurs français ce monument remarquable de la philosophie anglaise. Il n’entre pas dans notre pensée de nous établir juge et arbitre entre deux penseurs aussi considérables que Mill et Hamilton : un tel rôle dépasserait nos forces. D’un autre côté, les lecteurs de la Revue n’en sont pas à se faire expliquer les deux systèmes, que de remarquables interprètes leur ont fait connaître. Nous voudrions, après avoir sommairement indiqué quelques-uns des points les plus importans de la controverse, nous concentrer sur un problème qui mette clairement en lumière les différences des deux écoles, le problème de la perception externe, d’où dépend, comme chacun sait, la question si controversée de l’existence des choses extérieures.


I

Tous ceux qui ont connaissance de la philosophie d’Hamilton se souviennent d’un mémorable article publié par celui-ci et intitulé : Cousin-Schelling. Dans ce travail, M. Hamilton, anticipant en quelque sorte sur les objections du positivisme moderne, essayait de couper court aux tentatives ultérieures des métaphysiciens en faisant voir que les deux notions fondamentales de toute métaphysique, l’infini et l’absolu, sont deux notions inconcevables et contradictoires. Il montrait en outre que la prétention de communiquer avec l’absolu, soit immédiatement comme le voudrait Schelling, soit en passant par la conscience, comme le voulait Cousin, était inadmissible et injustifiable. Enfin, renchérissant sur le scepticisme métaphysique de Kant, il reprochait à celui-ci de n’avoir pas définitivement « exorcisé le fantôme de l’absolu. » Il semble que de telles assertions soient de nature à plaire à l’esprit de M. Mill, que l’on est en général disposé à se représenter, ainsi que nos positivistes français, comme très hostile à toutes notions ontologiques et transcendantes. On lira donc avec un curieux étonnement le chapitre où M. Mill poursuit de sa pressante dialectique les propositions précédentes. Sans doute il ne pense pas, avec Schelling ou Cousin, que l’on puisse atteindre par aucune