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s’enroulaient autour des troncs répandaient les plus suaves parfums. Une fontaine à la gerbe murmurante entretenait une douce fraîcheur, et le plafond peint représentait des avalanches de fleurs sortant de corbeilles d’or renversées. Le fond de la salle était occupé par un sofa placé sur une sorte d’estrade. Là reposait la dame du logis, accoudée contre des coussins de satin blanc, et ayant à ses pieds deux jeunes filles jolies comme des anges. L’aînée pouvait avoir douze ans, et portait, comme sa sœur, les vêtemens les plus riches ; mais leur beauté disparaissait complètement auprès de celle de leur mère, la plus ravissante personne que j’aie jamais vue. Elle se leva pour me recevoir, et me salua à la mode turque, en plaçant la main sur son cœur en signe de bienvenue, tout cela avec une grâce cordiale et digne, et telle que l’éducation la plus raffinée ne saurait l’enseigner. Elle fit apporter des coussins pour moi, et me fit asseoir au coin du sofa, considéré comme la place d’honneur. Mon interprète, la dame grecque, me l’avait représentée comme très belle ; mais le portrait qu’elle m’avait fait n’était rien auprès de ce que je vis. Je demeurai tout d’abord en extase, perdue dans la contemplation de ces charmes incomparables. Ce sourire enchanteur, cette harmonie parfaite des lignes, ces grâces majestueuses, ce teint transparent dont le fard n’a jamais terni la fleur, avant tout ce regard de flamme, ces yeux profonds et noirs avec cette expression languissante qui d’ordinaire n’appartient qu’aux yeux bleus, bref une reine de la tête aux pieds, telle était cette femme élevée dans un pays que nous nous plaisons à appeler barbare, et près de laquelle pâliraient nos beautés les plus célèbres. Son vêtement, d’une richesse inouïe, consistait en un caftan de brocart d’or à fleurs d’argent, dessinant la taille et faisant valoir la beauté du sein, simplement voilé par un fichu de gaze. Son pantalon, d’un rose pâle, était lamé d’argent, comme ses babouches. Des bracelets en diamans étincelaient à ses beaux bras, et sa ceinture, également couverte de diamans, faisait un cercle resplendissant autour de sa taille. Un magnifique bouquet de fleurs en pierreries attachait sur sa tête un riche mouchoir rose brodé d’argent, d’où s’échappaient dans toute leur longueur les opulentes tresses de ses cheveux soyeux et souples… Elle m’apprit que les enfans assises à ses pieds étaient ses filles. Ses suivantes, au nombre de vingt, étaient rangées par files des deux côtés de l’estrade, et par leur beauté comme par la grâce de leurs attitudes répondaient exactement à l’idée que nous nous formons des nymphes. Je ne pense pas que l’on puisse retrouver un tableau pareil. Elle leur fit signe de jouer et de danser. Aussitôt quatre des plus belles firent vibrer les cordes d’une sorte de luth, accompagnant leur jeu d’un chant doucement cadencé. Ce fut le signal d’une danse étrange et comme je n’en avais jamais vue. Impossible d’imaginer des gestes plus onduleux, des poses plus languissantes. Épaules renversées, yeux mourans, défaillances entrecoupées de tressaillemens, de reviremens subits,… bref, les