Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 83.djvu/993

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

premières de l’empire. « On voyait là pour le moins deux cents femmes, toutes se conduisant avec un tact parfait, et comme ne le feraient guère des Européennes appartenant aux cours les plus civilisées du monde. Nulle marque de curiosité indiscrète, aucun de ces sourires impertinens ou dédaigneux, de ces chuchotemens railleurs qui chez nous accueillent l’apparition d’une personne étrangère à nos coutumes ou à nos modes. Elles me regardaient avec intérêt, mais sans curiosité déplacée, me saluant tour à tour des mots de gracieuse et d’aimable. Je visitai d’abord la salle des bains chauds, qui est entourée de gradins en marbre. Les premiers, recouverts de riches coussins et d’étoffes précieuses, étaient occupés par les dames, les autres par leurs esclaves, toutes parfaitement nues et dans toute la sincérité du déshabillé. Pourtant la modestie de leurs gestes n’en souffrait point. Bien au contraire, elles marchaient avec ce port de déesse et ces grâces pudiques que Milton attribue à notre mère commune. Leurs membres admirablement proportionnés, leurs chairs d’un blanc nacré, leurs opulentes chevelures entremêlées de rubans éclatans ou de torsades de perles, me rappelaient les nudités superbes de l’école vénitienne, et semblaient copiées sur l’image même des Grâces. Le plaisir avec lequel mon regard se posait sur ces corps de déesse me permit de vérifier la justesse d’une remarque déjà ancienne. Je me disais que la perfection des formes l’emporterait sur la beauté du visage, si la mode revenait d’aller nue, et que les personnes les plus admirées seraient non pas les plus jolies, mais les mieux faites. » Les anciens Grecs pensaient de même, et tel personnage des dialogues de Platon, parlant d’un très bel adolescent, disait à Socrate : « Son visage est très beau. Eh bien ! s’il voulait se dépouiller, le visage ne paraîtrait plus rien, tant toute sa forme est belle. » Elle a le sentiment du pittoresque comme elle a celui de la beauté sculpturale, et ses peintures, animées par des comparaisons saisissantes, réfléchissent tantôt le faste théâtral de l’Orient, tantôt l’ardeur crue du ciel d’Asie. Qu’elle nous décrive l’intérieur d’un harem, nous assistons avec elle à la vie d’une femme turque.


« Une propreté recherchée régnait dans toute la maison. Deux eunuques noirs se tenaient à l’entrée, et me guidèrent à travers une longue galerie. Je marchais entre deux rangées d’esclaves immobiles comme des statues, pour la plupart admirablement belles, portant leurs longs cheveux nattés en tresses retombantes, et vêtues de damas de soie claire tissé d’argent. Je regrettai de ne pouvoir par discrétion les regarder de près ; mais cette pensée s’effaça à mon entrée dans une sorte de pavillon en forme de rotonde tout garni de persiennes dorées et ombragé par de grands massifs d’arbres. Le jasmin et le chèvrefeuille qui