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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/1013

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par l’impuissance même des institutions d’un autre ordre. Le régime parlementaire s’est refait de lui-même pas à pas par la force des choses ; les fautes du régime opposé lui ont rendu son crédit et son prestige. C’est ainsi que s’est formé ce sentiment libéral qui ne vise nullement à détruire sans doute, qui a été assez éprouvé pour tenir compte des faits, mais qui veut certainement des garanties, qui est devenu assez fort pour s’imposer à la fois aux passions révolutionnaires aussi bien qu’aux passions rétrogrades. Et si nous précisons ainsi l’origine et le caractère du mouvement actuel, c’est que la politique à suivre en découle naturellement. Cette politique, elle se résume tout entière dans ce mot qui ne peut être une fiction, et que M. le ministre de l’intérieur rappelait l’autre jour dans un discours qui a eu un juste retentissement : l’ordre à maintenir et la liberté à fonder. Depuis l’ouverture du corps législatif, on a publié des programmes de toute sorte, faits pour répondre à toutes les aspirations de l’opinion. Ces programmes sont assurément fort bons, ils contiennent des choses excellentes qui ne peuvent manquer de devenir des réalités. Seulement les auteurs, peut-être entraînés par la marche des événemens, peut-être un peu pressés de donner des gages, ne s’aperçoivent pas qu’ils commencent par la fin, ou qu’ils risquent de noyer l’essentiel dans les détails. L’essentiel aujourd’hui, c’est d’établir dans toute sa vérité un gouvernement libre, de laisser à l’action parlementaire toute sa latitude et tout son ressort.

C’est là le premier point à établir et à rendre inexpugnable. Cela fait, tout le reste en découle d’une façon invincible. Évidemment les institutions libres ne consistent pas dans de simples jeux d’éloquence, dans le droit de conquérir le pouvoir. On ne peut pas placer la liberté au sommet pour maintenir à tous les degrés de la hiérarchie une tutelle minutieuse et taquine, pour laisser l’initiative individuelle enveloppée de mille entraves administratives. C’est toute une série de conséquences qui s’enchaînent, qui se développent d’elles-mêmes. Il y a mieux, bien des choses auxquelles on s’attache passionnément aujourd’hui, sur lesquelles on dispute sans cesse, perdent de leur importance, ou sont du moins ramenées à leur vrai caractère par le seul fait d’un changement de régime. Ainsi cet article 75 de la constitution de l’an VIII, qui a eu la bizarre fortune de survivre à tous les régimes et dont l’existence est à coup sûr une anomalie, ce terrible article n’a plus la même signification. Il a fait beaucoup parler de lui sous un régime d’autorité discrétionnaire, où il est devenu un bouclier de plus pour des agens tout-puissans et irresponsables ; on n’en parlait guère sous la monarchie de juillet, où il y avait un gouvernement agissant à la pleine lumière, répondant à chaque instant de ses actes. On supprimera l’article 75, et on n’aura pas tort, puisque c’est une vieillerie ; l’idée elle-même ne disparaîtra pas tout entière parce que la responsabilité universelle et directe des fonctionnaires vis-à-vis du public n’aboutirait qu’à une immense