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pas finir, dont on fait le prologue passionné et stérile d’une session où tant de choses supérieures, essentielles, sont encore à faire.

Que la vérification des pouvoirs ait une importance sérieuse dans un pays libre, ce n’est pas ce que nous mettons en doute ; mais en même temps, pour ce qui est des circonstances actuelles, il ne faut pas que les membres du corps législatif se fassent illusion : ils commencent à perdre leur temps à force d’éplucher des dossiers et de dérouler avec solennité le récit d’une multitude de minuties électorales. Ils se complaisent trop volontiers à jouer aux interruptions et aux surprises. Ils prolongent sans résultat sensible des débats puérils et irritans qui finissent par de médiocres tempêtes, si bien qu’un député qui est de l’opposition, si nous ne nous trompons, a pu dire tout haut en pleine chambre avec un bons sens un peu vulgaire, quoique fort pratique : « Je ne sais pas si le pays qui nous paie si cher pour faire ses affaires trouvera que nous avons bien employé aujourd’hui notre temps. » C’est le résumé le plus clair d’une des dernières séances, et ici, à travers ces bruyantes discussions, on peut saisir sur le vif la faute qui a été commise au mois de juillet par l’ajournement indéfini de cette vérification. Il en résulte que les opérations du scrutin du mois de mai, qui s’effacent derrière toute une transformation constitutionnelle, n’apparaissent plus à leur vrai point de perspective, et que tout le monde est dans une situation fausse. Le gouvernement, pour ne pas livrer son passé, est obligé de soutenir des actes qui sont la contradiction la plus flagrante d’une politique à laquelle il s’est rallié depuis, et l’opposition à son tour combat les élections à l’aide de principes qui n’ont définitivement triomphé, qui n’ont été pleinement admis que plus tard. C’est une véritable incohérence, et le mieux eût été sans doute d’en finir au plus vite, d’éviter de se perdre dans ces luttes rétrospectives pour aborder résolument la situation actuelle, pour la saisir corps à corps dans sa vérité, dans ses conséquences nécessaires. Quelle est en réalité cette situation dégagée des détails subalternes qui l’obscurcissent ? Elle a certainement ses faiblesses, puisqu’elle traîne à sa suite ces incohérences qui se tournent contre elle ; elle a aussi sa force, puisqu’elle n’a pas été créée brusquement, puisqu’elle est le produit invincible d’un mouvement régulier de l’opinion luttant d’heure en heure, et finissant par avoir raison de tous les obstacles.

La révolution qui s’accomplit aujourd’hui a en effet cela de caractéristique, qu’elle n’a pas été improvisée tout d’une pièce, qu’elle ne se l’ait pas d’un seul coup, qu’elle n’est la victoire ni d’une théorie ni d’une surprise du hasard. Elle naît d’un sentiment tout pratique, de l’expérience des choses. C’est en voyant à l’œuvre l’omnipotence politique et administrative qu’on a été ramené à la liberté comme à la seule condition possible d’un gouvernement sensé, et on pourrait dire que la vitalité, la puissance des institutions libres ont été en quelque sorte démontrées