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déterminé les lois du phénomène, que le navigateur sait minute par minute l’état de la mer et en tire grand profit. L’essentiel est que le flot ascendant n’emporte pas les digues nécessaires et ne produise pas, en se retirant, de funestes réactions. Or c’est là, suivant les apparences, ce qui arrivera toutes les fois que la démocratie française sera conduite par ce jacobinisme âpre, hargneux, pédantesque, qui remue le pays, parfois même lui donne de l’essor, mais ne le conduira jamais à une constitution assurée. Ce parti peut faire une révolution, il ne régnera pas plus de deux mois après l’avoir faite. Même le jour où (chose peu probable) il arriverait à une majorité de scrutin, il ne fonderait rien encore, car les élémens dont il dispose, excellens pour agiter, sont instables, faciles à diviser, et tout à fait incapables de fournir les élémens solides d’une construction. Sa force, quoique grande, est en partie une force de circonstance. Dix fois il m’a été donné, pendant une campagne électorale, d’entendre le dialogue que voici. « — Nous ne sommes pas contens du gouvernement; il coûte trop cher; il gouverne au profit d’idées qui ne sont pas les noires; nous voterons pour le candidat de l’opposition la plus avancée. — Vous êtes donc révolutionnaires? — Nullement; une révolution serait le dernier malheur. Il s’agit seulement de faire impression sur le gouvernement, de le forcer à changer, de le contenir vigoureusement. — Mais si la chambre est composée de révolutionnaires, c’est le renversement du gouvernement. — Non; il n’y en aura que vingt ou trente, et puis le gouvernement est si fort! Il aies chassepots! » Ce naïf raisonnement donne la mesure de l’illusion que se fait la gauche radicale, quand elle s’imagine que le pays la veut pour elle-même. Une grande partie du pays la prend comme un bâton pour châtier le pouvoir, non comme un appui pour s’étayer. « On nous nomme, donc on nous aime, » serait de la part des honorables membres de l’opposition dite avancée la plus dangereuse des conclusions. On les nomme pour donner une leçon au gouvernement, et avec la persuasion que le gouvernement est assez fort pour supporter la leçon. Le jour où il n’en serait plus ainsi et où l’on s’apercevrait qu’on a mis en danger l’existence du gouvernement, il se ferait une volte-face, si bien que le parti radical est soumis à cette loi étrange, que l’heure de sa victoire est le commencement de sa défaite. Son triomphe est sa fin; souvent ceux qui l’ont nommé et mis en avant applaudissent eux-mêmes à sa proscription.

L’ordre en effet est devenu dans nos sociétés modernes d’Europe .une condition si impérieuse, que de longues guerres civiles sont impossibles. On cite quelquefois l’exemple de ces illustres républiques grecques et italiennes, qui créèrent une admirable civilisation au milieu d’un état politique assez analogue à notre terreur;