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Champlion. Voici pour faire face à toutes ces complications la combinaison à laquelle s’arrêtent ces deux profonds politiques, combinaison dont tout l’honneur revient à l’escroc, qui me paraît décidément bien plus inventif que le jésuite. Valtravers doit à d’Estrigaud quinze mille francs qu’il a perdus au jeu contre lui. Sainte-Agathe ira demander en son nom à Mlle de Birague de lui prêter cette somme pour vingt-quatre heures. Elle lui remettra probablement un bon sur son banquier. A son tour, Sainte-Agathe le remettra à d’Estrigaud, qui le montrera à tout le monde au club, et le tour sera joué. Valtravers, pour ne pas être déshonoré, devra épouser sa cousine, et Mlle de Birague, pour ne pas être compromise, devra épouser son cousin. — Mais, dira-t-on, si Mlle de Birague, au lieu de remettre un bon sur son banquier, donnait les quinze mille francs de la main à la main ? Que voulez-vous ? Ce serait fâcheux sans doute, et d’autant plus que M. de Sainte-Agathe n’a nullement prévu cette éventualité : on a beau être jésuite, on ne peut songer à tout. En revanche il a prévu le cas assez probable où, si compromise qu’elle fût pour avoir prêté quinze mille francs à son cousin, Mlle de Birague aurait néanmoins le mauvais goût de tenir à épouser Champlion. Les convenances ne l’inquiètent guère, et une mésalliance n’a rien qui l’effraie. Il importe donc de détruire Champlion dans l’estime de Catherine. À cette fin, d’Estrigaud va répandre le bruit que Champlion a donné à certaine danseuse certain cheval blanc qu’on a remarqué au bois de Boulogne. Cette histoire sera insérée tout au long dans le Moustique, petit journal qui joue dans la pièce un grand rôle, et dont la haine me paraît bien autrement redoutable que celle de la société de Jésus. Comme il est connu que Champlion n’a pas de fortune, on supposera naturellement qu’il a payé ce cheval avec l’argent de la souscription ; il sera déshonoré. Ce ténébreux plan de campagne arrêté, nos deux conspirateurs lèvent la séance, non sans que M. de Sainte-Agathe ait offert à d’Estrigaud de se faire un jour jésuite.

Tout paraît pour un instant marcher au gré des désirs de M. de Sainte-Agathe, et au début du cinquième acte tous nos gens sont au désespoir, Valtravers, parce que le Moustique a dit que sa cousine avait payé ses dettes de jeu, Mlle de Birague, parce que le Moustique a dit qu’elle avait payé les dettes de jeu de son cousin, Champlion enfin, parce que le Moustique a dit qu’il avait donné un cheval à une danseuse ; mais voilà qu’un événement tout à fait inopiné vient dérouter les savantes combinaisons de M. de Sainte-Agathe. Mlle de Birague refuse tout simplement de croire à la culpabilité de Champlion et lui propose sa main. On croit un moment que tout est fini et que la toile va tomber ; il n’en va pas si aisément avec les jésuites, et leurs batteries sont bien autrement difficiles à déjouer. Champlion refuse héroïquement, ca ? un homme déshonoré comme lui pour avoir donné un cheval à une danseuse ne saurait épouser une jeune fille pure. Heureusement Valtravers