Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/1034

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

M. Michelet trouve ici des mots éloquens et des aperçus lumineux pour comparer cette violence faite au cerveau de l’enfant moderne avec les développemens si bien gradués de la vie grecque. « Le jeune Hermès ailé et le petit gymnase accueillaient l’enfant, nous dit-il, l’invitaient, le remettaient jeune homme au dieu de l’art et de la lyre, Apollon, au travailleur, Hercule. L’idée pure couronnait, — Socrate et la Pallas. Enfin la vie publique, la vraie Pallas, Athènes, la cité, comme éducation. »

La seconde partie du livre de M. Michelet, intitulée Histoire de l’éducation, avènement de l’humanité, est traitée beaucoup plus à fond que la première. A vrai dire, c’est là seulement que l’auteur entre dans son sujet en s’affranchissant des nombreuses redites et des développemens hyperboliques du début. Les mots « avènement de l’humanité » nous paraissent heureusement trouvés pour qualifier la rénovation intellectuelle et morale que produisirent la renaissance et la réforme. C’est le temps où la vieille machine du moyen âge se disloque au souffle de la raison naissante ; de nouveau la vieille sibylle se déclare vaincue par une puissance supérieure. Chose étrange en apparence, c’est au moment même où s’accélère au profit de la monarchie le mouvement de centralisation politique que l’individualisme se dresse fièrement dans le monde intellectuel. C’est qu’en somme la royauté, en passant la baguette de Tarquin sur toutes les têtes féodales, facilite, sans le vouloir, l’essor des grandes intelligences. La libre pensée profite un moment de ce nivellement accompli par des mains royales.

M. Michelet, tout en expliquant comment le livre de Rabelais contient tout un plan nouveau d’éducation, passe trop vite sur l’œuvre sérieuse de ce grand satirique ; on croirait qu’il veut regagner le temps perdu aux fantaisies des pages précédentes. Et pourtant quand l’historien eut-il plus belle occasion de rentrer dans « ces poudreux chemins de l’histoire » où l’on retrouve « l’âme de la France ? » Oublie-t-il que durant deux siècles, jusqu’à Voltaire et jusqu’à Rousseau, nul écrivain n’aura l’action et l’influence éducatrices de Rabelais ? Les mots : nature, raison, tolérance et paix, tombant au XVIe siècle d’une telle bouche, étaient d’assez neuves paroles pour que le monde y prêtât l’oreille. Aussi « le livre, » comme on appelait le Pantagruel, se vendit-il en deux mois plus que la Bible en dix ans ; il en fut fait soixante éditions, dit M. Michelet, et des traductions en toutes langues. Les contemporains ou les continuateurs de Rabelais, les héritiers de sa verve claire et gauloise, méritaient aussi quelque place dans la seconde partie du livre de M. Michelet. A côté de Montaigne, qu’il trouve avec raison moins positif, trop rêveur, trop éducateur de serre-chaude, ayant le défaut de ne donner « que l’idéal de la vie noble, haute et philosophique, » n’eût-il pas été juste de mettre Érasme, et Morus, et Hotman, et Bodin, et d’autres encore ?

L’auteur de Nos Fils fera-t-il, toutes proportions gardées, une plus