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d’un vignoble ne sont pas atteints à la fois ; il se forme d’abord sur l’étendue du terrain cultivé un certain nombre de petits centres où le mal semble circonscrit, mais qui se développent bientôt de telle sorte qu’ils finissent par se rejoindre, se confondre et tout embrasser. On les a justement comparés à des gouttes d’huile tombées sur une feuille de papier ou sur une étoffe, qui s’étendent peu à peu sur la surface entière après avoir produit des taches isolées. La maladie est grave. Dans un délai plus ou moins long, toutes les vignes frappées en meurent. Il y a de cette mortalité des exemples saisissans dans le rapport publié par la commission de la Société des agriculteurs de France qui vient de parcourir les départemens infestés. C’est ainsi qu’arrivant au domaine de Vêlage, près d’Orange, les membres de la commission gravissent un tertre et voient soudain le plus grand désastre agricole qu’on puisse imaginer. « Près de cent hectares de vignes, toutes mortes sans en excepter un seul pied, montraient leurs longues lignes noires aussi complètement dépourvues de végétation qu’en hiver. C’est à peine si l’on apercevait dans un angle éloigné un peu de verdure, due à quelques hectares de jeunes plans que le mal n’avait pas emportés encore. » Dans la plupart des vignobles envahis, la récolte a été réduite cette année au dixième environ des récoltes moyennes. Quantité de propriétaires, et parmi eux des agriculteurs expérimentés, des lauréats de la prime d’honneur, se sont vus obligés, depuis un an, de renoncer à la culture de la vigne. Aujourd’hui même à Roquemaure, dans le Gard, les souches arrachées se vendent, comme bois de chauffage, 80 centimes les 100 kilogr.

En présence de faits si menaçans et déjà si terribles, la viticulture s’émeut tout entière ; si éloigné qu’on soit du terrain de l’invasion, on ne se croit plus en sûreté. On s’est donc empressé de chercher la cause du mal, d’en étudier les effets, de lui inventer des remèdes. Aussi les documens abondent-ils, quoique l’alarme soit récente. En 1868, une commission de la société d’agriculture de l’Hérault visita la première les points signalés, et publia des rapports remarquables. Dans le département de Vaucluse, une autre commission, instituée par le préfet et composée de membres de la société d’agriculture du département, se distingua par l’ardeur et la sagacité de ses recherches. La commission spéciale des vignes de la société d’agriculture de la Gironde se voua également à ces études. La même année, M. Planchon, professeur à la faculté des sciences de Montpellier, l’un des membres de la commission de l’Hérault, fit paraître un travail qui fut inséré aux comptes-rendus de l’Académie des Sciences. Enfin, quand la Société des agriculteurs de France, qui se constituait à peine, tint à Paris, au mois de décembre, sa première session générale, elle décida, sur le rapport de M. de La Vergne, un des viticulteurs les plus autorisés de la Gironde, qu’elle ferait étudier à ses frais la maladie nouvelle par une commission que désignerait son conseil. Au mois de juillet dernier, cette commission s’est réunie à Orange, et elle a fait une longue tournée dans les départemens de Vaucluse, du Gard, des Bouches-du-Rhône et de la Gironde. M. Vialla fut chargé du rapport ; MM. Planchon et Lichtenstein y joignirent, comme