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La hauteur du tunnel au-dessus de la vallée eût été pour les ingénieurs chargés du travail une difficulté de plus, s’il avait fallu amener sur le chantier, avec des voitures, tous les matériaux nécessaires. M. Sommeiller sut éviter cette cause considérable de dépenses par l’établissement d’un plan automoteur qui, partant du fond de la vallée, permet de faire parvenir jusqu’au tunnel toutes les pierres, les outils, les provisions de toute nature dont on a besoin. Ce plan se compose de deux wagons reliés entre eux par une chaîne engagée autour d’une poulie, et qui roulent sur des rails inclinés, de façon à ce que l’un monte pendant que l’autre descend. Veut-on faire monter un wagon chargé, on remplit d’eau le wagon vide, qui, entraîné par son poids, descend sur le plan en faisant remonter l’autre. Quand il est en bas, on vide l’eau dont il était rempli, on le charge de matériaux, et on le remonte par le même procédé.

L’organisation du travail est bien entendue; 1,200 ouvriers, presque tous Piémontais, sont constamment occupés. Ils sont payés les uns à la tâche, les autres à la journée et suivant leurs aptitudes spéciales. Ils habitent la plupart sur le lieu même de leurs travaux, aux Fourneaux, à 2 kilomètres de Modane, dans des maisons construites par la société qui aujourd’hui a l’entreprise des travaux, et qui leur loue des logemens à des prix très réduits, — 8 francs par mois pour une chambre dans laquelle habitent ordinairement 4 ouvriers. — Cette société a également établi des magasins dans lesquels elle revend à peu près au prix coûtant les marchandises achetées par elle en gros.

La société dont nous parlons se compose de MM. Sommeiller frères et des autres ingénieurs qui dans l’origine faisaient exécuter les travaux en régie pour le compte du gouvernement italien, mais qui, afin de simplifier l’organisation, ont depuis quelque temps pris l’entreprise à forfait. Ils ont traité, nous a-t-on dit, à raison de 4,600 fr. par mètre courant du tunnel complètement terminé et prêt à être livré à l’exploitation. Quels que soient les bénéfices qu’ils puissent faire ainsi, ils ne recevront jamais une rémunération proportionnée à l’immense service qu’ils auront rendu à leur pays.

De toutes les inventions dues à M. Sommeiller, la plus remarquable est certainement celle de l’emploi de l’air comprimé, dont jusqu’alors il avait été impossible de tirer parti, et qui est devenu entre ses mains une force d’une souplesse extrême et des plus faciles à manier. L’air comprimé offre sur la vapeur de nombreux avantages; d’abord il peut s’introduire partout sans danger et se transporter à de grandes distances. Il serait donc facile d’en produire sur un point donné une certaine quantité, de l’emmagasiner dans des récipiens, et de la répartir ensuite, au moyen d’une cana-