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sans doute des infiltrations, on a crevé quelques poches intérieures; mais au bout de quelques jours toute l’eau qu’elles renfermaient s’était écoulée, et les travaux étaient à sec.

Ce tunnel sera beaucoup plus long que tous ceux qu’on a construits jusqu’ici; — il aura plus de 12 kilomètres, tandis que les deux plus grands, celui de la Nerthe, entre Marseille et Avignon, et celui de Blaisy, près de Dijon, n’ont l’un que 4,200 mètres, l’autre que 4,000 mètres. On se demandait donc avec une certaine inquiétude comment on pourrait, à d’aussi grandes profondeurs, fournir aux travailleurs l’air nécessaire, et comment les trains pourraient circuler sans asphyxier les voyageurs de leur fumée. Pour des puits d’aération, on n’y devait pas songer, car il eût fallu percer la montagne verticalement sur une hauteur de 1,500 ou 1,600 mètres. Une fois le tunnel construit, l’aération se fera naturellement, et probablement avec plus d’activité qu’on ne le désirerait. Deux causes y contribueront : d’abord la différence de température entre le versant nord et le versant sud, ensuite la plus grande élévation de l’orifice méridional. La différence de niveau étant de 128 mètres, le tunnel fera l’effet d’une cheminée de 128 mètres de haut à travers laquelle il s’établira un tirage considérable.

Quant à l’aération du tunnel pendant l’exécution des travaux, elle a été obtenue d’une façon très heureuse par l’emploi de l’air comprimé comme force motrice. Si l’on avait dû avoir recours à la vapeur, le problème eût été probablement insoluble, et l’on ne fût jamais parvenu à expulser au dehors l’air vicié par la respiration des ouvriers, la combustion du charbon et l’explosion des mines, sur une longueur de plusieurs kilomètres dans la montagne. Grâce à l’invention de M. Sommeiller, chaque coup de piston perforateur laisse échapper dans le fond de la galerie une certaine quantité d’air propre à la respiration. Il s’introduit ainsi par minute 6 mètres cubes d’air à la pression de 7 atmosphères ou 42 mètres cubes à la pression ordinaire. Si ce volume d’air pur était insuffisant, on n’aurait qu’à ouvrir le robinet d’un tuyau aboutissant à des récipiens spéciaux remplis par le surplus de l’air non utilisé pour les travaux, pour en avoir toute la quantité nécessaire. L’air qui se dégage au fond des galeries chasse donc derrière lui l’air vicié, qui revient vers l’ouverture; mais, refoulé également par la pression extérieure, ce dernier reste stationnaire à une certaine distance dans l’intérieur du tunnel : c’est là qu’au moyen d’une machine située au dehors il est aspiré et rendu à l’atmosphère. Les débris de la roche sont, après l’explosion des mines, enlevés par des wagons et jetés en avant de l’ouverture sur le flanc de la montagne où ils forment un talus grisâtre qu’on aperçoit de loin.