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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/176

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tation des idées, il partagea ses facultés entre les deux études qui l’invitaient également. À La peinture, il appliqua son imagination et ce que la nature lui avait donné d’enthousiasme pour admirer le beau, de courage pour l’exprimer. À la littérature, il consacra son goût très décidé pour la philosophie et les habitudes d’esprit qu’il avait puisées dans la controverse. Le critique chez lui se composait ainsi peu à peu d’un peintre et d’un métaphysicien. Il y a entre les arts une émulation : lorsque l’un d’eux prend l’essor, l’autre tâche de suivre. Il profite de la leçon, en extrait ce qui est à son usage. Hazlitt a observé que la faveur dont la peinture fut l’objet en Angleterre vers la fin du dernier siècle donna l’éveil à la littérature. Son propre talent est un exemple de cette influence. Il dut sans doute aux travaux de l’atelier comme à l’observation de la nature son goût des justes proportions, une rare précision du trait, l’art d’interpréter la vie et la pensée dans les objets extérieurs, celui de voir et de sentir ce qui échappe au regard distrait de la foule. La peinture fut la première qui dissipa pour lui le brouillard de la scolastique, qui déchira le voile gris à travers lequel la métaphysique lui montrait les hommes et les choses. Les disputes avaient laissé son esprit hésitant : l’art lui parla par les sens ; il crut à ce qu’il voyait ; la vérité lui devenait palpable. Sa toile, ses pinceaux, sa palette, lui révélèrent une philosophie sensible qui ne manquait pas d’élévation.

D’autre part, ses lectures théologiques, celles-là même où il avait contracté le dégoût de la carrière paternelle, lui fournirent une arme pour cette nouvelle épreuve. Il y a dans l’étude exclusive et matérielle de la beauté quelque chose qui énerve : l’âme de l’artiste qui ne réagit pas contre à plaisir d’une contemplation passive tombe dans une sorte d’épicuréisme de l’art ; la puissance de l’admiration paralyse la pensée et l’invite à une paresse qui se communique à l’industrie même du peintre. S’il faut en croire ceux qui ont manié le pinceau aussi bien que la plume, il y a plus de plaisir à peindre qu’à écrire. Hazlitt du moins n’était jamais fatigué du premier de ces deux métiers. Écrire, c’est traduire des sentimens vivans en paroles qui ne le sont pas toujours et jamais au même degré ; peindre, c’est avec des noms d’objets faire des choses, c’est-à-dire créer. Chaque coup de pinceau est une découverte ; à chaque instant, c’est un triomphe que vous remportez ; tout est plaisir. Voici maintenant le revers. La faculté de sentir le beau n’est pas la même que celle de l’exprimer. La première, qui est la source de tant de jouissances, n’est pas toujours accompagnée de la seconde. On s’y arrête comme les voyageurs de la fable à l’écueil des sirènes. On passe de la pureté divine de Raphaël à la grâce de Léonard, des séductions de Corrége à la science de Michel-Ange, de la riche facilité de Véronèse à la vie puissante de Titien ; puis c’est Rubens qui vous enivre,