Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/177

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

c’est Claude Lorrain qui parle à votre âme, c’est Ruysdael, c’est Backuisen qui vous captive. Vous êtes tour à tour peintre d’histoire, paysagiste, peintre de marine, et au bout de ces initiations successives il se trouve que vous êtes impuissant ou découragé. Plus vous avez admiré, plus votre imagination est devenue stérile. Quel est alors le refuge du peintre qui a senti son incapacité ? Malheur à celui dont les doigts ne connaissent que le pinceau ! S’il sait tenir une plume, il portera du moins dans l’art d’écrire une part quelquefois précieuse d’originalité ; pourtant n’est-il pas à craindre qu’il soit esclave de son premier métier, qu’il répande avec profusion sur le papier les couleurs chatoyantes de sa palette ? Riche de nuances, mais pauvre d’idées arrêtées, ne sera-t-il pas livré au hasard des circonstances, à la merci du vent qui souffle ? Hazlitt connut le découragement dont nous venons de parler, il l’a décrit dans un essai sur les peintres anglais à Rome ; mais il y avait en lui un philosophe ébauché. Sa pensée, exercée aux âpres sentiers de la métaphysique, était capable de marcher au but d’un pas assuré.

Les quatre mois de son séjour à Paris, en 1802, marquent l’époque de son exaltation la plus vive comme artiste et le commencement de sa défiance de lui-même. Il revient toujours avec délices sur les heureuses journées qu’il passait au Louvre ; il raconte que longtemps après dans ses rêves il s’y revoyait encore. Plusieurs fois aussi il exprime ses angoisses dans la crise qui bientôt décida de sa vocation. C’est une étude d’après Titien qui fit succomber son courage ; Titien fut l’ange redoutable avec lequel, comme Jacob, il engagea une lutte qui devait se terminer par sa défaite. Il est probable que sa métaphysique, si elle lui rendit service plus tard, contribua quelque peu à le brouiller avec les pinceaux. C’était l’avis sans doute d’un conservateur du musée pour lequel il avait une lettre de recommandation. Cet homme obligeant causait avec lui d’un paysage auquel le jeune Anglais reprochait d’être d’une couleur trop claire. Ne pouvant le persuader par ses raisonnemens, Hazlitt eut recours à un moyen qu’on peut appeler son argument favori : suivant lui, c’était une question qui ne pouvait être résolue que par la métaphysique. L’objection ne parut pas concluante à son interlocuteur, qui se contenta de marquer par un hochement de tête qu’il y était peu sensible. Ce connaisseur médiocrement prévenu en faveur de la métaphysique était M. Mérimée, le père du célèbre écrivain. Revenu dans son pays, Hazlitt essaya de faire argent avec son métier. Après avoir couru les provinces à la chasse des portraits, n’ayant ni l’espoir de s’illustrer ni le désir de sacrifier la gloire à l’industrie, il quitta la peinture.

Entre tous les artistes qui ont ajouté à leur gloire une réputation d’écrivain, il n’y a peut-être que Benvenuto Cellini qui ait marqué