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ses pages d’une vive empreinte d’originalité. Encore n’était-il pas peintre ; les vrais peintres qui ont écrit se sont contentés, je crois, d’une prose toute simple et nue, sèche même à force de sobriété ; il semble que leur imagination ne se réveille que devant une toile, et qu’en dehors des pinceaux il n’y ait plus de couleur au monde. Hazlitt ne fait pas d’exception à cette espèce de loi. Il eut deux manières comme écrivain. Ses premiers écrits sont dénués de toute grâce et de tout ornement. Ils produisent ce qu’il appelle lui-même, à propos d’un autre, l’effet de l’étouffement. La métaphysique y étale pour ainsi dire toute sa rigueur. Peu de lectures sont plus pénibles à faire que celle des traités philosophiques réunis par son fils dans les Literary Remains. À peine deux ou trois traits caractéristiques sur Locke et sur Hobbes font-ils entrevoir dans le lointain la promesse d’un critique. Quant à son premier ouvrage, qui est de 1805 et porte le titre d’Essai sur les principes des actions humaines, il est presque oublié ; les curieux n’en ont conservé que ce souvenir, qu’il était aussi sec, aussi rigide dans son style que les formidables ouvrages dont il est la réfutation ; on ajoute encore qu’il fut lu par Mackintosh. Il est vrai que ce dernier se trouvait alors dans les Indes, et jouissait de tous les loisirs d’un juge à Calcutta. Heureusement il est aisé de se faire une idée juste de la philosophie de l’auteur d’après les petits traités des Literary Remains, et encore mieux d’après ceux de ses essais de sa seconde manière qui se rapportent à la psychologie ou à la morale.

La métaphysique d’Hazlitt, c’est-à-dire, pour nous servir des termes usités dans l’école française, ses principes de psychologie et de morale générale, se réduit à une réfutation constante de la théorie de l’intérêt bien entendu. Il n’a cessé de combattre la doctrine d’Helvétius sous toutes les formes successives qu’elle a prises en Angleterre avec Paley, Hartley, Godwin, James Mill et Jeremy Bentham. La lutte qu’il a soutenue contre ces différens systèmes se retrouve dans presque tous ses écrits, dans ceux-là même qui paraissent le plus étrangers à la philosophie. Elle explique les paradoxes qui étonnent le plus ses lecteurs, et fait comprendre en partie cet air de singularité dont l’accusent ceux qui n’ont vu chez lui que le désir de penser autrement que les autres. Elle prouve d’une manière incontestable qu’il avait des principes arrêtés dont il ne s’est jamais départi. À cet égard, il ressemble d’une manière surprenante à notre Rousseau, qui a été son auteur favori, son épée de chevet, comme dit Montaigne, et souvent son modèle dans ses écrits, quelquefois même dans sa vie. Dans ce combat prolongé contre la morale matérialiste, on peut saisir aisément plusieurs époques : ce sont aussi les périodes qui renferment toute l’histoire de sa vie et de son talent.