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sciences mathématiques, physiques, naturelles. On est porté à croire que les objets dont ces sciences s’occupent ont quelque chose d’absolu qui les met en dehors de l’histoire; mais c’est là une erreur qui ne tient pas contre l’examen des faits. Nous pouvons dire que, pour comprendre véritablement les sciences, il est indispensable de connaître les différentes phases qu’elles ont traversées. L’enseignement classique nous présente un certain nombre de vérités dont l’ensemble constitue une science; il les met toutes sur la même ligne, ou du moins il essaie d’établir entre elles un ordre logique, passant des plus simples aux plus compliquées. Cela serait peut-être suffisant, s’il s’agissait de sciences entièrement faites et dont tous les élémens seraient connus : l’édifice pourrait alors être construit de toutes pièces dans un dessein bien arrêté; mais il n’en est pas ainsi la plupart du temps, il s’agit de connaissances incomplètes, de découvertes partielles, d’aperçus à demi lumineux, qui ne nous permettent que des conjectures sur le plan de l’œuvre totale. L’ordre qu’on établit est donc artificiel, et il est bien difficile qu’il s’impose assez nettement à notre esprit pour lui être d’un grand secours; dès lors nous nous trouvons en face d’un amas confus de vérités, sans trop savoir quelles sont celles qui présentent le plus d’importance, sans avoir de points fixes auxquels nous puissions nous attacher. Que si à l’ordre logique on vient substituer l’ordre historique, tout se classe et s’éclaire; nous comprenons alors les efforts successifs de l’esprit humain, et nous voyons, au milieu des tentatives avortées, naître les germes heureux que doit féconder l’avenir. Les systèmes qui s’écroulent les uns sur les autres nous expliquent les traces qu’ils ont laissées dans la science et dont le sens nous avait d’abord échappé. Les controverses anciennes nous font comprendre l’intérêt qui s’attache à certains faits dont la portée spéciale est d’ailleurs devenue fort restreinte. La science perd ainsi ce qu’elle avait de froid, de terne, d’impersonnel; elle devient vivante, animée, elle prend couleur humaine.

Il est donc certain que l’enseignement classique des sciences gagnerait beaucoup, si l’on y introduisait dans une certaine mesure les considérations historiques dont il est encore entièrement privé; mais il est surtout une lacune qu’il importe vraiment de faire disparaître au plus tôt. Comment n’y a-t-il pas dans l’enseignement supérieur une seule chaire d’histoire des sciences? La création d’une pareille chaire, soit au Collège de France, soit à la Sorbonne, répondrait à un véritable besoin. Quant aux livres propres à donner une idée de l’intérêt que la méthode historique introduit dans les études scientifiques, ils sont extrêmement rares. On peut citer, parmi les plus anciens, l’Histoire des Mathématiques de Bossuet, l’Histoire de l’Astronomie de Bailly, quelques-unes des œuvres d’Arago, la Philoso-