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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/253

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REVUE. — CHRONIQUE.

assez obscures en présence de la décomposition et de la reconstitution ou de la confusion des partis, et la gauche elle-même n’échappe pas plus que toutes les autres nuances parlementaires à cette crise des opinions. La gauche s’est réunie plusieurs fois, à ce qu’il paraît, chez M. Jules Favre, chez M. Jules Simon ; elle ne semble pas s’être bien complètement entendue. Elle a publié un manifeste qui ne répond peut-être plus aujourd’hui à la pensée de ceux qui l’ont signé et qui n’étaient d’accord que pour refuser leur concours à toute manifestation le 26 octobre. Sur tout le reste, ce morceau de politique est assez peu explicite, si bien que du premier coup la démocratie extrême l’a appelé une abdication, presque une trahison. Ce qui n’est point douteux, c’est que si elle y réfléchit bien, si elle veut être une opposition sérieuse pour devenir au besoin un gouvernement possible, la gauche parlementaire est la première intéressèje à rompre avec cette tourbe devant laquelle elle commence à ne plus trouver grâce. Que peut-elle gagner à ces transactions, à ces connivences qui la feraient passer sous le joug de la sédition vulgaire ? On vient de le voir par ce qui est arrivé l’autre jour à une réunion du boulevard de Clichy. Chose curieuse, il s’est trouvé quelques hommes ayant réuni à eux tous quelques centaines de voix dans les élections, formant entre eux une sorte de tribunal révolutionnaire, et sommant les députés de la gauche de comparaître pour avoir à rendre compte de leurs actes, de leurs opinions, de ce qu’ils feraient ; c’est, comme on le voit, la tradition du bon temps. Il faut tout dire : M. Jules Favre a répondu avec hauteur à la sommation ; M. Ernest Picard n’en a tenu compte, et d’autres ont fait comme lui. Quatre députés seulement, MM. Jules Simon, Pelletan, Bancel, Ferry, ont cru devoir se rendre à cette injonction, et ils ont été récompensés comme ils le devaient d’une résolution qui dénotait assurément de leur part plus de courage que de raison. Là effectivement s’est passée la scène la plus étrange. Ces députés, qui comptaient peut-être sur leur éloquence et sur l’ascendant de leur situation, se sont vus assaillis d’invectives, hués et outragés ; on a étouffé leur voix, on les a appelés traîtres. Que disons-nous ? On les a traités de jésuites, et on a fini le lendemain par les sommer en style d’huissier d’avoir à déposer leur mandat, sous prétexte qu’ils n’avaient plus la confiance du peuple. Voilà les retours de la popularité ! Il y a six mois, c’était M. Émile Ollivier qui se voyait conspué comme traître, M. Bancel était le favori. Aujourd’hui M. Bancel s’en va à Bruxelles reprendre des conférences littéraires en attendant de regagner la faveur des purs de la démocratie. Ces députés n’y ont pas songé ; ris ont commis une erreur qui, pour être généreuse, n’est pas moins grave, puisqu’ils ont exposé la dignité du suffrage universel, qui les a nommés, aux outrages d’une minorité tapageuse. M. Jules Simon a déclaré depuis, il est vrai, qu’il n’avait entendu aucune insulte, que les