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REVUE. — CHRONIQUE.

berté commerciale le caractère d’un fait international. Supprimer les traités pour rentrer dès ce moment dans le domaine des tarifs réglés uniquement par la France, ce n’est pas précisément aisé ; c’est d’autant moins facile qu’il n’y a pas seulement le traité avec l’Angleterre, il y a bien d’autres conventions conclues avec les autres pays, échelonnées sur un assez grand nombre d’années.

Comment faire ? D’abord pour l’Angleterre une dénonciation immédiate n’aurait ses effets qu’en 1871, et comme le corps législatif va être trop absorbé dans les questions politiques pour pouvoir discuter d’ici là un nouveau tarif général, ce n’est même pas possible, c’est un ajournement forcé à deux ans. De plus l’Angleterre, qui a le traitement de la nation la plus privilégiée, ne se croirait-elle pas le droit de partager les bénéfices des autres pays dont les conventions n’auraient pas expiré ? Au pis-aller, ne tournerait-elle pas la difficulté en envoyant ses produits sous le couvert des nations qui auraient encore des traités ? De toute façon, l’embarras est grand, à moins que M. Pouyer-Quertier ne demande au gouvernement de faire un coup d’état commercial pour effacer le coup d’état qu’il a fait il y a dix ans bientôt. Le gouvernement ne le fera pas certainement ; il semble plutôt disposé à défendre, tant qu’il le pourra, sa politique commerciale, sauf à satisfaire sur d’autres points les griefs de l’industrie française. Chose curieuse cependant, au moment même où l’on s’agite en France contre la liberté du commerce, les protectionistes anglais se réveillent, eux aussi, et forment une « association pour la restauration de l’industrie nationale. » Ils tiennent des réunions et font des manifestes ; ils déplorent avec une amertume que M. Pouyer-Quertier ne dépasse pas dans ses discours l’abandon où tombent les chantiers de construction, le déclin des industries, la paralysie du commerce. Il n’y a d’autre coupable de tout cela évidemment que le libre échange, le traité qui ouvre à la France le marché national. Ainsi en Angleterre c’est le cabinet de Londres qui livre à la France les intérêts britanniques ; à Rouen, c’est le gouvernement impérial qui livre à l’Angleterre les intérêts français. Ces deux exagérations ne se détruisent-elles pas mutuellement ? L’industrie française est sans doute dans un état de grave malaise : elle souffre de bien des causes, des crises politiques, des difficultés de la siiuation européenne, peut-être aussi des excès de la protection ancienne, de l’incertitude dans les conditions du travail et des salaires ; mais ce n’est pas un retour au passé qui la guérira. Elle pourrait au besoin trouver un exemple dans l’expérience des États-Unis, qui ne se trouvent pas trop bien de la réaction proteclioniste de ces dernières années. Dans tous les cas, sur ce point comme sur les autres, la libre discussion est le seul moyen à invoquer ; elle est un bienfait, parce qu’elle porte avec elle la lumière, parce qu’elle dissipe les préjugés et met en relief les véritables progrès.