Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/256

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
250
REVUE DES DEUX MONDES.

dans un jour de crise, mais qui ne serait pas sa sauvegarde morale. Le gouvernement peut sans doute trouver une certaine force relative dans la réaction d’esprit public produite par l’excès des intempérances révolutionnaires ou dans le morcellement de l’opposition. Cette force serait réelle, s’il savait lui-même nettement ce qu’il veut, et si, pour accomplir ce qu’il veut, il avait une majorité compacte. Où est cette majorité ? comment se reconstituera-t-elle ? quelle influence cxercera-t-elle sur la composition du ministère le jour où s’engagera la lutte parlementaire ? C’est là le problème. Une seule chose est certaine, dans l’état actuel majorité et ministère ne peuvent plus se défendre et vivre que par la liberté résolument maintenue, largement et sérieusement appliquée dans toutes les sphères de la vie publique de la France. Le meilleur moyen de combattre les révolutions, c’est de faire sans elles et mieux qu’elles ce qu’elles promettent.

Il faut en prendre son parti : la liberté n’est point sans doute par elle-même la solution de toutes les questions ; elle est la condition première des solutions équitables. Elle permet à toutes les réclamations de se produire, à tous les intérêts de se plaindre et de se défendre ; elle est aussi la souveraine épreuve des utopies qui se drapent dans leur orgueil, des erreurs invétérées, des prétentions excessives qui jettent souvent le trouble non-seulement dans la politique, mais dans la vie industrielle et commerciale. La liberté du commerce sortira-t-elle intacte de cette épreuve ? Par une inconséquence singulière, serait-elle destinée à être la première victime du rétablissement de la liberté politique ? Il y a malheureusem.ent une chose à dire, la liberté du commerce souffre de la manière dont elle a été introduite en France ; elle est entrée par la mauvaise porte, et on lui en fait subir les conséquences. Elle restera victorieuse, nous en avons la ferme confiance ; on finirai par reconnaître qu’elle a été en définitive un bienfait accompagné d’inévitables malheurs. Elle n’est pas moins en ce moment l’objet d’une attaque en règle dans tous les centres industriels où les intérêts ont le plus souffert, où la protection est restée en faveur, et cette attaque, fortement organisée, vivement dirigée, de façon à retentir dans le corps législatif, se combine avec une enquête dont le gouvernement a chargé un de ses fonctionnaires. À Lille, à Roubaix, à Tourcoing, l’envoyé du gouvernement, M. Ozenne, a entendu les doléances des chambres de commerce, et il a recueilli, chemin faisant, les douloureux témoignages d’une crise dont on ne peut certes se dissimuler la gravité. À Rouen, M. Pouyer-Quertier, toujours sur la brèche et d’autant plus actif que les électeurs lui ont laissé des loisirs, réunit des meetings ; il fait des discours, il sonne l’hallali contre le libre échange, et il a même pour auxiliaires des députés qui, tout libéraux et radicaux qu’ils soient, ne sont pas moins Normands avant tout. Ce qu’on poursuit, c’est la dénonciation des traités qui ont donné à la li-