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LA PRUSSE ET L’ALLEMAGNE.

des anciens ministres de la justice en Prusse disait dans un moment d’épanchement : « J’avais dans mes cartons un projet de code d’instruction criminelle ; mais, quand nous avons achevé notre nouveau code pénal, nous avons trouvé qu’il ressemblait beaucoup au code français. Cette découverte a chagriné le roi, qui m’a dit : Ne nous présentez pas autre chose. » Et pour citer un exemple plus récent, le congrès des jurisconsultes allemands assemblé à Heidelberg s’est prononcé à l’unanimité moins une voix en faveur du mariage civil obligatoire. À lire l’exposé des motifs, il est impossible de se douter que le mariage civil est de provenance française ; un tel aveu serait compromettant. La marchandise est bonne ; en lui ôtant son estampille, elle aura cours.

Après tout, cette nouvelle espèce de gallophobie est bien innocente au prix de celle d’autrefois ; elle se peut concilier avec de bonnes relations internationales. C’est une chose convenue en Allemagne que Paris n’est plus le marché des idées ; mais les idées ne sont pas tout : Paris reste, aux yeux des Allemands, une capitale européenne, un merveilleux caravansérail, une ville unique où la vie a une liberté et un charme qu’elle n’a pas ailleurs, la seconde patrie de l’Allemand, disent-ils, et ils ne se font pas scrupule d’en faire venir leurs modes et leurs pièces de théâtre. Quant aux démocrates, aux révolutionnaires à tous crins, c’est une autre affaire. Ce qu’ils attendent, ce qu’ils espèrent de Paris, comme les Israélites espéraient la manne du ciel, c’est une bonne petite révolution qui leur sera expédiée un matin par le télégraphe et qu’ils se chargeront de faire courir des Alpes souabes jusqu’au bord de la Pregel. « Tant que Paris ne bougera pas, nous disait l’un d’eux, il n’y aura rien à faire ici. Les Français n’ont plus grand’chose à nous apprendre ; mais ils ont gardé l’initiative révolutionnaire, et eux seuls s’entendent à faire trembler la terre. » Les radicaux allemands se persuadent à tort ou à raison que les forges de Lemnos sont restées à Paris, et ils ne croient qu’aux tonnerres que fabrique le dieu Vulcain en personne.

Si les crises qu’a traversées la France ont diminué à l’étranger son crédit politique, il est permis de penser qu’elles n’ont pas été inutiles à son éducation. Elle a appris à se défier d’elle-même, et la défiance est le commencement de la sagesse. La France, grâce à Dieu, a fait d’assez grandes choses dans ce monde pour qu’elle puisse sans inconvénient reconnaître publiquement ses torts, laver son linge sale à la face du ciel et de l’Europe ; on ne prendra jamais ses modesties pour des aveux d’impuissance. Il n’en coûte guère à un fils de famille qui a fait avec des actions d’éclat d’assez grandes sottises de confesser tout haut ses désordres et ses repentirs ; il sait bien que tel homme honnête et rangé dont personne n’a jamais