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parlé lui enviera secrètement ses erreurs retentissantes, ses éclatans péchés, peccata splendida. Il est des pénitences où l’amour-propre trouve son compte. Ne se croyant plus infaillible, la France libérale est devenue plus curieuse de ce qui se passe hors de ses frontières ; elle ne pense plus déroger en s’informant, en questionnant, en consultant, et la curiosité est presque le couronnement de la sagesse. Elle étudie l’Angleterre, elle étudie l’Amérique, non sans profit. Elle ne demanderait pas mieux que d’étudier l’Allemagne ; mais il y a dans le tempérament germanique des bizarreries et des complications qui tiennent sa bonne volonté en échec, et il se passera du temps avant que la France sache l’allemand et l’Allemagne.

Il est certain que l’Allemagne, pour diverses raisons, est difficile à connaître. D’abord c’est avec la Suisse le seul pays où l’esprit local, si puissant autrefois, subsiste dans toute sa force. Si l’on entend par capitale une ville petite ou grande où se concentre comme dans un foyer l’esprit général d’une société grande ou petite, l’Allemagne est le seul pays qui ait plusieurs capitales ; elle en a presque autant que de villes. Un poète s’est demandé dans une chanson célèbre quelle était la patrie de l’Allemand ; il aurait dû répondre : la rue où il est né. L’Allemand est homme de clocher, et longtemps encore le bourgeois primera en lui le citoyen. C’est précisément pour cela qu’il est cosmopolite, qu’il se résout facilement aux lointaines émigrations. Une fois sorti de l’ombre de ses murailles natales, peu lui importe où il va. Que le Francfortois s’établisse à Berlin ou au Brésil, il n’y sera pas chez lui. Telle cigogne badoise ou bavaroise s’en va passer ses hivers en Égypte ; ne détruisez pas le nid qu’elle s’est construit au sommet du clocher qu’elle aime ; ce nid pour elle, c’est l’Allemagne, et, si elle ne le retrouve pas, elle se croira toujours en Égypte. Dernièrement un journaliste prussien de méchante humeur reprochait aux bourgeois de Hambourg le peu d’enthousiasme que leur inspire la grande cause de l’unité nationale ; il ajoutait, non sans quelque dépit, que pour le Hambourgeois il n’y a que deux choses, Hambourg et le monde. À ce compte, toutes les villes allemandes sont des Hambourg : grand embarras pour l’étranger qui veut connaître l’esprit allemand. Où ira-t-il l’étudier ? À Francfort, à Dresde, à Munich ou à Stuttgart ?

À cette difficulté s’en joint une autre. On a dit que, sur trois Français, il y a toujours un caporal et deux soldats, et que, prenez au hasard trois Allemands, vous serez en présence de trois opinions, même de quatre, parce que l’un des trois en a une de rechange. Ce n’est pas à dire qu’il y ait en Allemagne plus d’originalité d’esprit ou d’indépendance de caractère qu’en France ; mais l’action person-