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LA PRUSSE ET L’ALLEMAGNE.

d’esprit, d’une raison courte, mais exacte et saine, à l’âme droite, au cœur pieux, aux mains prenantes, et dont la devise est sans doute : ora et labora, prie, travaille et prends. Où trouver ailleurs cette bizarre combinaison d’un esprit froidement positif, qu’aucune rêverie ne vient jamais distraire de ses calculs, avec un mysticisme qui voit Dieu partout, mais surtout dans les affaires prussiennes, et qui n’entreprend rien sans le mettre de part ? Croire à sa mission est une manière vraiment royale de se débarrasser de ses scrupules, et c’est faire tort, pensons-nous, au roi Guillaume Ier que de prétendre que M. de Bismarck ait eu de la peine à lui faire goûter ses plans ou à le réconcilier avec ses moyens, avec cette alliance révolutionnaire sans laquelle on ne pouvait rien, avec laquelle on pouvait tout. Le roi était prêt, et d’avance ses principes s’étaient résignés. Cette armée qui a fait merveille en Bohême, c’était lui qui l’avait créée dans la prévision de quelque conjoncture favorable, et il a pu dire après la victoire, non sans une certaine complaisance : « Décidément l’instrument était bon. Il est facile de faire de bonne politique quand on a 500, 000 hommes comme ceux-là derrière soi. »

Ce n’était pas assez d’avoir 500, 000 hommes, il en fallait un de plus, l’un de ces hommes indispensables qui possèdent, comme disait Gil Blas, l’outil universel. Il fallait au roi Guillaume un ministre qui fût à la fois de la race des habiles et des audacieux, assez habile pour créer l’occasion désirée, assez audacieux pour prendre froidement la mesure des difficultés et pour communiquer sa confiance. À défaut de scrupules, le roi avait des inquiétudes, et il lui était permis d’en avoir au moment d’engager une si grosse partie. Quelles n’eussent pas été les conséquences d’un échec ! Et pour qui la défaite est-elle plus à redouter que pour un roi de Prusse, que pour le maître d’un état fait de pièces rapportées, et qui offre d’avance pour ainsi dire une proie facile aux fantaisies d’un vainqueur irrité, lequel peut le démembrer sans le détruire ? Otez à la Prusse la Silésie, Posen ou la province rhénane, vous n’aurez pas détruit la Prusse ; mais vous aurez supprimé la royauté prussienne et l’une des cinq grandes puissances de l’Europe. Le roi Guillaume n’avait pas besoin qu’on stimulât son ambition, il avait besoin qu’on le délivrât de ses anxiétés, et c’est à quoi son ministre s’employa avec autant de persévérance que de succès. Il sut lui prouver que la partie n’était pas aussi aventureuse qu’il le semblait, qu’on avait bien des as dans son jeu ; il lui fit voir de l’autre côté du Rhin la France se prêtant bénévolement à cette alliance vraiment providentielle qu’il se proposait de conclure avec l’Italie, avec cette jeune royauté que l’empereur Napoléon III a tenue sur les fonts du baptême ; soufflant sur les brouillards du Mein, il lui découvrit les infir-