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LA PRUSSE ET L’ALLEMAGNE.

amateur de salon qui lui voudrait enseigner à tenir son archet… Entre le roi et son ministre, entre le droit divin et les droits du génie, les nationaux-libéraux se trouvent comme étranglés entre deux battans de porte. Alors ils se retournent d’un autre côté. Ils n’ignorent pas qu’il leur est impossible d’en finir de si tôt avec M. de Bismarck. Forcés de le subir, il désirent qu’il leur serve à quelque chose. Ils ont une confiance absolue dans son habileté diplomatique. Qu’il fasse mine de passer le Mein, et les cordons de la bourse se dénoueront comme par miracle.

Les conversations du gouvernement prussien et des nationaux- libéraux peuvent se résumer ainsi : Nous manquons d’argent, nous ne pouvons plus aller. Il faut que vous nous votiez de nouveaux impôts. — Ah ! permettez, nous ne croyons pas à votre disette d’argent. Vous voulez remplir vos caisses pour pouvoir vous passer de nous. — Examinez nos livres, vous verrez qu’il s’agit d’un déficit sérieux, permanent, tout ce qu’il y a de plus permanent. — Soit, nous vous voterons des fonds, si en retour vous nous accordez quelque chose. Il y a dans la constitution certain article… — Oh ! ne nous parlez pas de cet article 109, ce serait ouvrir la porte au parlementarisme. Que deviendraient le droit divin, les droits du génie ? Le dilettantisme perdrait la Prusse. — Fort bien, vous n’aurez pas un thaler. — En ce cas, nous serons forcés de faire des économies, et nous choisirons celles qui vous seront le plus désagréables. Les services publics en souffriront, nous dirons au pays que c’est votre faute. — Nous lui dirons, nous, que vous avez dans votre trésor 30 millions de thalers qui chôment et qui dorment. Que ne vous en servez-vous pour combler votre déficit ? — Impossible, ces 30 millions sont le fonds de réserve de la guerre. La Prusse n’est pas riche ; elle ne pourrait pas comme la France, lors de son dernier emprunt national, encaisser 100 millions de thalers en un jour. Nous serions les plus imprudens des hommes, si nous touchions à notre magot. Ne savez-vous pas que l’argent est le nerf de la guerre ? — Alors que ne faites-vous quelques réductions dans le budget de l’armée ? Sacrifiez quelques régimens de cavalerie. — Impossible encore. Dans l’état actuel de l’Europe… — Mais vous avez donc des projets ? s’écrient les nationaux-libéraux, dont l’œil s’allume. Faites-nous-en part, vous savez que cela nous intéresse. Vous disposez-vous par hasard à passer le Mein ? Nous sommes patriotes ; si vous l’êtes aussi, nous voterons tout ce qui vous fera plaisir… Ici le gouvernement fait la sourde oreille et interrompt la conversation ; mais une fois qu’ils ont touché ce bouton, les nationaux-libéraux ne sont pas gens à s’arrêter. Ils déclarent et répètent que passer le Mein est la chose la plus facile du monde, qu’on n’aura pas la guerre, que