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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/350

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ne néglige rien pour faire grand bruit lui donne pour cause les récentes modifications de tarifs : c’est le libre échange qui est coupable de tout; ce sont les traités avec la France qui ont ruiné l’Angleterre. D’autres ne veulent voir dans la détresse présente qu’un effet de la rareté du coton. Que la précieuse fibre, disent ces derniers, redevienne aussi abondante qu’autrefois, et les pertes subies seront réparées bien vite, la fabrication se relèvera plus brillante que jamais : on aura fait un mauvais rêve, rien de plus. C’est ainsi notamment que l’éminent ministre du commerce, M. John Bright, envisage les choses. Toutes les autres raisons mises en avant pour expliquer le désastre, il les écarte avec dédain. Certains articles de journaux où on a essayé de les apprécier me semblent a avoir été écrits à Bedlam, » et constituer simplement une déloyale manœuvre de ses adversaires politiques. Dans une lettre rendue publique, il réfute, avec cet accent caustique, résolu et un peu excentric qui le distingue, les partisans d’un retour aux anciens tarifs. « Si les tories se plaignent, s’écrie-t-il, que trop de droits de douane aient été abolis, ils auront sans doute la bonté de dire aux classes ouvrières quels sont ceux qu’ils désirent rétablir. Est-ce un droit sur le blé, sur le bétail, ou sur le coton importé?... Quand nous aurons un bon approvisionnement de coton, le Lancashire sortira de l’état désastreux où il se trouve. Il s’agit de se procurer du coton, et les taxes ou les impôts n’ont ici rien à faire. »

Dans le Trade’s unions congress tenu à Birmingham au mois de septembre 1869, un des délégués ouvriers, M. Alfred Bailey, a présenté la question sous un troisième point de vue. Après avoir dépeint en quelques traits énergiques le tableau navrant qu’offre le Lancashire, après avoir montré « la propriété foncière dépréciée, les ouvriers sans travail irrités et sombres, les fabricans, riches jadis, maintenant ruinés, l’écriteau à louer posé de toutes parts sur de vastes bâtimens, la faillite en permanence, un désir brûlant d’émigration gagnant toute la population laborieuse, » M. Alfred Bailey cherche les moyens d’arrêter tant de désastres. Comme nous sommes dans un congrès des trade’s unions, c’est surtout de l’augmentation des salaires que l’orateur est préoccupé. Il juge en effet que l’Inde anglaise doit fournir plus de coton que les états du sud de l’Union américaine n’ont jamais pu en récolter, et, ce point étant ainsi sommairement réglé, il s’attaque aux droits prélevés aux Indes sur les tissus du Lancashire. Ces droits, suivant lui, pèsent uniquement sur la main d’œuvre. Si on les supprimait, il serait facile « d’élever de 50 pour 100 le prix des journées et de constituer encore une réserve pour les travailleurs. » Cette appréciation ne brille pas à coup sûr par une grande lucidité de raison pratique. On voit bien de quelles