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visite par deux fois son beau-frère, le jeune duc de Holstein. Alors recommencèrent, plus effrénées que jamais, les courses à cheval, à bride abattue, ou les courses à pied, en lutte avec les coureurs de la cour, ou les parties de traîneaux sur la glace entr’ ouverte, ou les luttes à la nage en plein hiver. Tous deux un jour et leurs gens se mettent à chasser un lièvre dans la salle même des états. En plein midi, ils entrent à cheval dans Stockholm, presque tous en chemise, l’épée à la main, et ils courent la ville avec de grands cris en brisant les vitres. Tous deux s’en vont avec leur suite à pied, pendant la nuit, jeter des pierres aux fenêtres des ministres. Charles s’avise une fois de monter un cerf qu’on venait de prendre; ce fut un prodige qu’il en revint. Le duc, dont il ne faut certes pas, comme a fait Voltaire, vanter la douceur, montra un jour un sabre avec lequel il se vantait d’avoir abattu d’un seul coup la tête d’un veau. Charles voulut en faire autant. On lui amena au château des moutons et des chèvres, et il s’exerçait dans sa chambre, qui ruisselait de sang, à les décapiter d’un seul coup; les têtes volaient par les fenêtres dans la rue, au grand scandale des passans ébahis.

Rien n’arrêtait cet opiniâtre, ni les prières et le chagrin de ses serviteurs les plus dévoués, ni les allusions publiques des prédicateurs, ni le mécontentement de l’opinion, ni la vue des maux particuliers que ses jeux sanglans entraînaient. Il y avait mort d’homme presque à chacun de violens exercices pour lesquels il voulait deux groupes opposés. Le duc de Holstein l’ayant une fois défié à franchir au saut du cheval un fossé dangereux, où la mort paraissait certaine, en vain supplia-t-on Charles d’y renoncer, en vain accusa-t-on devant lui le duc de trahir par de tels défis ses perfides desseins en vue de la succession royale, qu’il convoitait. Il fallut qu’un page du roi, quand il ne restait plus d’autre moyen pour arrêter celui-ci, obtînt de faire l’épreuve le premier : il y tua son cheval et se releva avec un bras cassé; à ce prix seulement, Charles céda.

Le seul adoucissement fut un changement de manie. Pendant le second séjour que fit le duc en Suède, Charles voulut tout à coup l’éclat des fêtes élégantes et parées. La cour suédoise redevint subitement ce qu’elle n’avait plus été depuis le règne de Christine. Dans les diverses résidences royales ou chez les principaux courtisans, ce fut une série non interrompue de bals et d’illuminations, de mascarades jusque dans les rues ; le pasteur même de la cour donna un souper qui fit scandale. Si le jeune roi ne s’enivrait pas, il dansait toute la nuit, jusqu’à dix heures du matin, en changeant trois ou quatre fois ses étranges costumes, et comme emporté par une sorte de fureur. Le comte de Tessin acquit ses bonnes grâces par l’habileté parfaite avec laquelle il disposait toutes ces fêtes; les