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=temple, il ne quitta sceptre et couronne que pour recevoir l’huile sainte, et les reprit lui-même sur l’autel pendant que la voix des hérauts, les fanfares, le bruit du canon et les acclamations du peuple saluaient la nouvelle royauté. C’est ainsi que la scène est racontée par M. Fryxell, d’après les documens suédois, mais elle n’est pas telle dans Voltaire. Suivant lui, l’archevêque d’Upsal tenait déjà la couronne pour la mettre sur la tête de Charles XII quand celui-ci « la lui arracha des mains, dit-il, et se couronna lui-même en regardant fièrement le prélat. La multitude, à qui tout air de grandeur impose, applaudit à l’action du roi. » Il ne paraît pas que les choses se soient passées de la sorte, et le récit suédois ne laisse point place à ce coup de théâtre.

Les commencemens de Charles XII furent terribles. Il avait montré dès sa première enfance une incroyable opiniâtreté de caractère. Un jour il mit toute la famille royale en émoi parce que, après avoir déclaré que la couleur bleue était noire et que l’un de ses maîtres avait l’air d’un cuistre, malgré toutes les menaces et toutes les instances il n’en voulut jamais démordre. Ce fut, hélas ! la même opiniâtreté intraitable qui, grandissant chez le souverain absolu, le fit persister plus tard dans ses fautes sans remords ni pitié, à travers tous les désastres. Devenu roi, il prétendit gouverner seul, sans diète ni sénat. Il expédiait les affaires dans sa chambre à coucher avec un ou deux favoris, ou bien il restait des semaines sans en vouloir rien entendre : si les ministres se présentaient, il les jetait à la porte. Ces ministres avaient à peine connaissance des dépêches adressées par les agens extérieurs de la Suède; le roi envoyait des troupes, nommait les généraux, déclarait la guerre sans qu’ils en sussent rien. Ecoutait-il par hasard quelque objection à laquelle il eût dû se rendre, c’était pour répondre avec un grand sang-froid que sa volonté royale n’en était pas changée, et nul n’osait insister. On en vint à se convaincre que l’unique chance de l’entraîner vers un parti était de lui conseiller le parti contraire. Voltaire a dit ses caprices, ses emportemens, ses chasses à l’ours, ses rudes exercices, ses goûts militaires; il pouvait ajouter que tout cela fut porté à d’incroyables extrémités, tantôt comme par un enfant mal élevé, tantôt comme par une sorte de fou furieux. A table, ce roi de quinze ans lance des noyaux de cerise dans la figure de ses invités, des plus âgés et des plus respectables. Avec quelques trop joyeux compagnons, il brise chez lui fauteuils et candélabres, il casse le nez à tous les bustes de marbre dans le château, il rompt tous les bancs de la chapelle, pour qu’à la prière du soir toute la cour soit obligée de rester debout. Il a près de sa chambre un ours dompté, qu’il enivre et qui se tue en sautant d’une fenêtre. Il dépassa toutes bornes quand il eut auprès de lui en