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cueillies avec faveur chez nos voisins ; il serait si doux de trouver quelque part une veine originale, un signe de rajeunissement, une lueur dans le crépuscule ! Si cette espérance est déçue, une autre curiosité soutiendra notre attention. Ces récits dont nous allons nous occuper, l’Allemagne les a lus avec intérêt ; qu’ils nous plaisent ou non au point de vue de l’art, ils nous intéresseront au point de vue de l’histoire contemporaine. Peut-être ne seront-ils pas des chefs-d’œuvre ; ils seront certainement des témoignages. L’Allemagne, depuis une vingtaine d’années, est engagée comme nous dans les grands et redoutables problèmes du XIXe siècle. Là aussi, les principes opposés qui se disputent la société moderne tourmentent les esprits généreux et soulèvent les passions ; là aussi, sur un terrain tout différent et sous des formes très particulières, on voit aux prises l’ancien régime et l’esprit moderne, le droit et la force, le libéralisme et la démocratie, la réaction superstitieuse et le fanatisme jacobin. Les peintres de la société allemande en ces dernières années n’ont pu échapper à des émotions qui se retrouvent partout ; quel est le résultat de leurs observations ? Quelles figures mettent-ils en scène ? Sous quels traits ont-ils représenté leurs modèles ? Par quels tableaux ont-ils captivé l’attention ? Qu’a-t-on loué, qu’a-t-on blâmé dans leurs peintures ? Ces questions, qui se présentent tout naturellement à l’esprit, sont de nature à piquer la curiosité de la critique ; il faut essayer d’y répondre, il faut montrer que l’histoire littéraire est plus étroitement liée de jour en jour à l’histoire politique et sociale.

L’idée même de notre étude exige que nous en empruntions les élémens à des œuvres recommandées par le succès. Sur ce point, si nous voulions suivre complaisamment les indications de la critique allemande, nous serions fort embarrassé de nos richesses. À ne prendre que les cinq ou six dernières années, à juger seulement la travail de production littéraire qui a précédé et suivi Sadowa, que de romans où se sont reproduites les plus vives émotions de nos jours ! Le roman, disait Goethe, est l’épopée moderne ; les Allemands ont pris ce mot au pied de la lettre, et comme une épopée doit être le résultat d’une civilisation, la collection des romans publiés au nord et au sud de la ligne du Mein formerait sans peine une encyclopédie. Il y en a sur tous les sujets, sur toutes les classes de la cité humaine, sur tous les problèmes du monde intellectuel et moral ; le trait dominant de cette littérature, c’est le désir de peindre la société la plus rapprochée de nous, la société allemande à travers ses épreuves et ses transformations depuis quinze ou vingt ans. Dès le lendemain des révolutions de 1848 et des réactions de 1849, un dramaturge célèbre, le dernier survivant de la jeune Al-