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quand la reine, si douce, si bonne, se sent comme frappée à mort, une odieuse accusation tombe de toutes parts sur Walpurga. L’entremetteuse (on la nomme ainsi, la pauvre femme, alors que souriante, tout occupée de son nourrisson ou bien pensant à ceux qu’elle a quittés, à ceux qu’elle reverra bientôt, elle ne soupçonne même pas le drame qui s’agite autour d’elle), l’entremetteuse infâme inspire à tous des sentimens de dégoût; on se détourne, on la fuit... Walpurga finit par comprendre; elle part aussitôt, elle a horreur de cette cour où tout n’est que piège et mensonge; son village, dont elle n’aurait jamais dû s’éloigner, lui rendra la joie, lui fera oublier la fausse amitié de la comtesse Irma et la honte que cette amitié lui vaut. N’a-t-elle pas été la dupe de la comtesse? n’a-t-elle pas été sans le savoir l’entremetteuse qu’on accuse? n’est-ce pas dans l’intérêt de ses intrigues que la comtesse avait noué avec elle ces relations familières? Walpurga se trompe; la comtesse n’est pas si coupable. Bien loin de tromper indignement la simplicité de la paysanne, c’est auprès de ce cœur droit que la brillante Irma cherchait un appui; c’est près d’elle encore, dans l’atmosphère d’une vie laborieuse et pure, à l’endroit le plus solitaire de la montagne, sur la cime, sur les hauteurs, que la pécheresse cachée à tous les yeux accomplira sa pénitence.

Tout cela n’est que le cadre du récit; le vrai sujet de M. Berthold Auerbach, c’est la pénitence de la comtesse Irma. Persuadé que la doctrine de Spinoza est le dernier mot des grandes énigmes, disciple et traducteur du Juif d’Amsterdam, M. Auerbach est comme inquiété dans sa foi par la supériorité morale du christianisme. C’est une âme religieuse, nous l’avons dit, une-âme noblement préoccupée de tout ce qui intéresse la dignité de notre être, de tout ce qui peut concourir à la sanctification de la conscience. Comment ne serait-il pas jaloux pour sa religion des trésors que renferme la doctrine chrétienne? Le redressement par le repentir, la régénération par la prière, la communication de l’âme déchue avec le Dieu vivant toujours prêt à la secourir, ce sont là des croyances aussi simples que hautes, aussi naturelles que sublimes. Elles répondent à tout; le cœur y trouve son compte aussi bien que la pensée. Rien de plus humain, rien de plus divin. Au contraire, dans le système de ce philosophe qu’on appelle une intelligence enivrée de Dieu, quel est le sort de l’âme défaillante ou déchue? qui la soutiendra? qui la relèvera? Ce Dieu dont le spino4sme est ivre n’est pas une personne, c’est une force aveugle. Tourmenté par ce problème, M. Berthold Auerbach a entrepris de prouver que le panthéisme des esprits nobles avait autant d’efficace, comme disait notre XVIIe siècle, autant d’action purifiante et régénératrice, que le christianisme