Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/443

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

affaires qu’un papier-monnaie suspect : de là une perturbation désastreuse pour un pays qui vit par le commerce avec l’étranger.

Les charges résultant du système fiscal n’étaient pas les seules. La population créole étant sans défense aucune contre les agens de la métropole, force était d’acheter leurs bonnes grâces. L’esclavage, avec ses déplorables fatalités, ne subsisterait nulle part, si les autorités ne fermaient pas les yeux sur beaucoup d’abus et de méfaits : il fallait donc payer cette tolérance. De là une série de cotisations prétendues volontaires ou de sacrifices occultes dont la coutume avait fait une espèce de droit. Un opulent bénéfice à La Havane était le salaire du confesseur de la reine. On trouvait moyen de fournir de cigares la cour de Madrid. On sait quelles fortunes scandaleuses plusieurs capitaines-généraux ont rapportées des Antilles. L’usage voulait que l’on contribuât par des présens à la dot de leurs filles, que l’on couvrît leurs enfans de bijoux pour la cérémonie de leur baptême. Les traitemens des cessantes, c’est-à-dire des fonctionnaires en disponibilité qui souvent habitaient la métropole, grevaient inutilement de 3,780,000 francs le budget colonial. Ces griefs positifs n’étaient pas les causes uniques de jalousie et de mésintelligence entre les créoles et les péninsulaires. On se plaignait, par exemple, que les fonctionnaires envoyés par l’Espagne vinssent uniquement aux colonies pour arrondir lestement leur capital et repartir au plus vite, ou bien, s’ils étaient célibataires, on voyait avec jalousie qu’ils employassent les moyens de crédit et d’influence que donne l’autorité pour s’introduire dans les familles et disputer les riches mariages aux jeunes gens du pays. Les relations s’aigrissaient donc de jour en jour ; les rêves d’indépendance agitaient déjà beaucoup d’esprits, lorsqu’une énorme secousse annonça l’heure des résolutions décisives. Après l’affranchissement des noirs aux États-Unis, l’impossibilité de maintenir l’esclavage à Cuba devint évidente pour les plus réfractaires ; il fallait absolument que la société cubaine avisât aux moyens de se reconstituer sur des bases nouvelles.


II.

L’abolition du travail servile dans les colonies ne peut être effectuée que de deux façons : ou bien le gouvernement métropolitain rachète les esclaves au moyen d’une indemnité donnée aux propriétaires, c’est le procédé dont l’Angleterre a donné le noble exemple, qui a été suivi par la France et la Hollande, — ou bien les propriétaires d’esclaves opèrent eux-mêmes la transition du travail