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leurs compatriotes ; les femmes restent dans les villages exposées aux plus dures privations et sans défense contre les outrages. Les lignes télégraphiques sont coupées; les chemins de fer ont été mis hors de service. La dévastation et la sauvagerie s’étendent comme une lèpre. L’émigration des familles riches avec tout ce qu’elles peuvent emporter achève d’épuiser le pays. La situation est d’autant plus horrible que l’indécision se prolonge. Les Espagnols, avec des efforts inouis, ont fini par occuper la plupart des postes stratégiques; mais les Cubains, retranchés dans leurs montagnes où le bétail abonde, y sont difficilement attaquables. Il y a donc une sorte de temps d’arrêt dans les opérations. Tel est le point, où les choses ont été conduites. On ne comprend pas que de telles souffrances puissent se prolonger; on ne voit pas comment elles pourraient finir. Essayons cependant de résumer la situation et de tirer au clair ce qu’il y a de possible.


IV.

Le premier point à mettre en lumière, c’est le caractère général de la révolution cubaine. Il n’y a point ici, nous le répétons, révolte de l’esclave contre son ancien maître; ce n’est pas non plus, comme on le croit en Espagne, le complot d’une minorité factieuse pour saisir le pouvoir ou réaliser des utopies politiques. L’Europe elle-même se trompe quand elle soupçonne les États-Unis de fomenter les troubles avec l’arrière-pensée de s’approprier la perle des Antilles. La vérité est qu’une rare unanimité existe entre les classes et les races diverses dont se compose la population indigène. Les habitans qu’une juste prudence ou la timidité paralyse, les exilés volontaires, les proscrits, sont en sympathie avec les insurgés. Il ne s’agit plus aujourd’hui de concessions, de réformes. Le but hautement proclamé de l’insurrection est la fin de l’exploitation espagnole et l’indépendance absolue de Cuba et de Porto-Rico.

Tâchons d’écarter les préventions politiques, les antipathies de races, l’ardeur des représailles, tout ce qui est de nature à envenimer et à obscurcir la question. Demandons-nous avec calme et impartialité ce qu’il y aurait à faire pour rendre aux créoles le repos et la prospérité. Eh bien! il nous apparaît clairement que l’autonomie de l’île est devenue pour la société cubaine une condition d’existence. Cette nécessité s’est imposée de plus en plus à mesure que les ravages de la guerre ont accumulé les ruines. Pour opérer la transition de l’esclavage au travail libre, pour réparer les usines saccagées, pour remettre les chemins de fer en état de service, pour restituer les propriétés confisquées, pour supprimer le papier-monnaie, il faut une capitalisation abondante et rapide jusqu’au