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quête de Cuba, comme le seul moyen de mettre fin à la traite des nègres. Aujourd’hui ces divers mobiles n’ont plus de raison d’être. Il ne reste plus parmi les populations démocratiques et protestantes de l’Amérique du Nord que l’ennui d’avoir pour voisins l’absolutisme et le papisme espagnol; il y a en outre une vive sympathie pour de braves gens qui veulent affranchir une terre américaine, sentimens qui se combinent avec une vague réminiscence de la doctrine de Monroë.

On a vu à plusieurs reprises depuis un an les autorités américaines faire obstacle au recrutement pour Cuba, séquestrer les vaisseaux chargés d’armes et faire condamner par les tribunaux les expéditeurs. On a dit que le gouvernement de Washington en agissait ainsi pour éviter de fournir un argument à l’Angleterre dans le procès qu’il soutient contre elle au sujet de l’Alabama, qu’après avoir reconnu les Cubains comme belligérans on ne pourrait plus faire un crime aux Anglais d’avoir donné le même titre aux sécessionnistes. Ces motifs passagers sont accessoires. — Sage et prévoyant comme il est, le gouvernement du général Grant est sans doute beaucoup plus touché par des considérations d’avenir. C’est déjà bien assez de trois ou quatre millions de noirs affranchis que l’on compte actuellement dans l’Union à titre de citoyens, et peut-être ne serait-il pas prudent d’y ajouter le million d’Africains, esclaves ou libres, que renferment Cuba et Porto-Rico. On ne parait pas non plus disposé à fortifier les papistes irlandais par une population de race latine et de religion catholique. Au point de vue spécial du commerce, si la liberté absolue des échanges était en vigueur à Cuba, les avantages seraient à peu près les mêmes pour les États-Unis que ceux d’une complète assimilation. Il y a donc lieu de croire que le général Grant et son gouvernement désirent moins l’acquisition dont il s’agit qu’ils ne la craignent, et que, si la mainmise sur les Antilles espagnoles a jamais lieu, c’est qu’elle aura été commandée par un sentiment d’humanité, comme la seule manière de couper court aux horribles scènes dont Cuba est le théâtre. Qu’on se représente dans les eaux européennes une grande île appartenant aux Américains, et qui serait mise par eux à feu et à sang. Est-ce que la conscience des peuples européens ne serait pas soulevée, est-ce qu’il ne surgirait point parmi nous une force d’opinion qui commanderait aux gouvernemens de pourvoir au salut des victimes, de faire contre les Yankees ce qu’on a fait autrefois contre les Turcs au profit de la Grèce? Voilà le sentiment honorable qui domine aux États-Unis, et qui peut forcer le général Grant à prendre parti contre l’Espagne, si le martyre des Cubains se prolonge.

Transportons-nous en Espagne pour y surprendre, s’il est pos-