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contestations, en faisant face au radicalisme révolutionnaire. Même dans la première circonscription, on commence à se troubler, on va chercher le vieux nom de M. Carnot, vaincu au mois de juin, pour l’opposer à M. Rochefort, resté jusqu’ici le candidat unique, le souverain incontesté de la gaudriole politique. Nous ne méconnaissons pas la valeur de ces signes qui peuvent s’accentuer encore, et qui dans tous les cas laissent évidemment entrevoir au fond de la population parisienne un travail de résistance. Il n’est pas moins certain que jusqu’à présent ce sont les candidatures violentes, les candidatures à tout brouiller ou à tout casser qui ont le haut bout, qui se promènent dans les réunions populaires, devenues les théâtres forains de toutes les ambitions, de toutes les vanités. Des candidatures, il y en a de toute sorte et pour tous les goûts ; il y en a de sérieuses et il y en a de comiques. En fait de candidats, il y a les vieux et les jeunes, les socialistes et les jacobins, les assermentés et les insermentés, tout ce qu’on a pu trouver de mieux comme nouveauté, M. Ledru-Rollin, M. Félix Pyat, M. Barbes et M. Tapon-Fougas. Une candidature assez comique par exemple, avec toutes les prétentions possibles au sérieux, c’est la candidature ambulatoire de M. Crémieux, l’ancien membre du gouvernement provisoire de 1848. M. Crémieux est une âme en peine qui cherche une enveloppe de député. Il a eu des malheurs cet été dans la Drôme, il en a aujourd’hui à Paris. Il passe son temps à se promener dans les réunions et à conter les histoires de 1848 ou à se plaindre des chagrins qu’on lui cause. Il avait planté sa tente dans la quatrième circonscription lorsqu’on lui fait signe de la troisième circonscription, et il accourt, toujours avec ses réminiscences de 1848 ; mais là, le malheureux, il voit tout à coup se lever devant lui la candidature insermentée de M. Ledru-Rollin, aventure d’autant plus burlesque que M. Ledru-Rollin avait fait un chassé-croisé à peu près pareil. Que lui veut-on avec M. Ledru-Rollin ? C’est son ami, l’un et l’autre ne font qu’un ; il est impossible qu’on jette cette pierre sur son chemin. D’ailleurs M. Ledru-Rollin lie peut pas venir à la chambre ; il est condamné, il est insermenté. C’est une manifestation qu’on veut faire, dit-on. « Ah çà ! s’écrie piteusement M. Crémieux, mais je ne suis donc rien dans vos rangs ? le nom de Crémieux est donc éteint au milieu de vous ? » Ainsi il se lamente bien justement, défendant ses droits de « vétéran de la liberté, » de promulgateur du suffrage universel, qui est « son œuvre, » — car le suffrage universel, à ce qu’il paraît, a plusieurs pères qui le revendiquent comme leur ouvrage ; mais M. Crémieux n’a pas moins toujours devant lui et contre lui M. Ledru-Rollin l’insermenté, sans parler de M. Rouyer-Quertier l’assermenté, qui deviendra probablement le concurrent redoutable, et sans compter encore M. le Dr Tony Moilin, qui a inventé pour l’usage du public un socialisme d’une nouvelle espèce tout à fait efficace.

C’est M. Ledru-Rollin qui a causé les ennuis de M. Crémieux sans le