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savoir ; — et l’ancien ministre de l’intérieur de 1848 a-t-il lui-même un rôle bien plus sérieux ? Que M. Ledru-Rollin ait été un orateur véhément, un tribun passionné, qu’il n’ait pas fait tout le mal qu’il pouvait faire lorsqu’une révolution l’a jeté au pouvoir, c’est possible ; il est certainement dans tous les cas, comme homme public, le modèle de ceux qui sont la proie de leur parti et qui disent ce mot qu’on lui a attribué : « il faut bien que je les suive, puisque je suis leur chef. » Il est de plus la preuve vivante de cette triste vérité, que l’exil est un de ces malheurs qui n’enseignent rien. Le fait est que, depuis le jour où ce nouveau mouvement électoral s’est déclaré, M. Ledru-Rollin semble avoir flotté à tous les vents, tantôt se montrant disposé à prêter le serment voulu pour se présenter dans une circonscription de Paris, tantôt hésitant, puis se laissant pousser à la candidature comme insermenté, et finissant par un manifeste qui n’est qu’une puérilité prétentieuse, s’il n’est pas la marque d’un grand orgueil, s’il ne signifie pas que l’ancien membre du gouvernement provisoire de février aurait grande envie de rentrer en France, mais qu’il ne peut revenir comme tout le monde, qu’il faut pour le rappeler une manifestation souveraine du peuple.

Quelle idée particulière M. Ledru-Rollin a-t-il voulu exprimer dans son manifeste ? Il a beau s’embarrasser dans des théories d’anthropologie pour plaire sans doute à quelques écoles nouvelles, il ne réussit à rien dii^e, ou plutôt c’est toujours le vieil homme. Il en est encore à 1847 ; il se fait l’illusion qu’il a été le principal auteur de la révolution de février, parce que vers cette époque, dans un banquet, il refusait de porter un toast au roi Louis-Philippe. Toujours le demi-dieu démocratique ne procédant que par les plus grands coups, renversant une monarchie pour avoir refusé de porter un toast, menaçant aujourd’hui l’empire par un refus de serment ! M. Ledru-Rollin se complaît dans ces assimilations, dans ces souvenirs, et, en parlant des banquets de 1847, il a le mauvais goût de laisser échapper de sa plume une épithète malveillante à l’égard d’un homme réfugié aujourd’hui dans la dignité d’une vieillesse respectée, comme si d’ailleurs, en fait de sonorité et de pompe, le tribun de 1848 cédait la prééminence à qui que ce soit. M. Ledru-Rollin a un tact si parfait, un sentiment si juste des circonstances et de la marche des choses, qu’il en est pour le moment à se déchaîner dans son manifeste contre le régime constitutionnel, contre le parlementarisme ! Le parlementarisme, c’est l’ennemi, c’est lui qui est l’oppresseur depuis cinquante ans, qui a empêché la marche triomphale de la révolution, c’est lui qu’il faut surveiller comme le dangereux héritier présomptif de « l’empire qui s’éteint. » M. Ledru-Rollin se déclare l’adversaire rétrospectif de la monarchie constitutionnelle de Louis-Philippe, même de la république du général Cavaignac, tout autant que de l’empire libéral ou autoritaire ; mais alors qui pourra dire ce que veut le candidat insermenté de la troisième circonscription ? S’il ne veut pas de la puis-