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désormais sans avoir le désagrément d’être acclamé comme un empereur de fantaisie. Populus a de ces engouemens, il se crée volontiers de ces fétiches dont il s’amuse en attendant de les briser, et, s’il aime aussi que ses fétiches lui obéissent, qu’à cela ne tienne ! M. Rochefort est tout prêt, on n’a qu’à parler. Faut-il démolir le corps législatif rien qu’en y entrant, ou mettre l’empire en accusation à la première parole, ou descendre dans la rue à la première résistance des pouvoirs organisés ? faut-il prêter un serment, deux sermens, accepter le mandat impératif, s’engager à consulter chaque jour les électeurs pour recevoir d’eux le mot d’ordre ? Tout cela se fera, ce sera fort gai, et, si on fait des sottises, on les fera ensemble. Faut-il trancher la question sociale, abolir la misère et le prolétariat ? Rien de plus simple, dix minutes suffiront, et au besoin le candidat rédigera des consultations sur l’industrie minière, qu’il assaisonnera de calembours. Faut-il refuser le budget, tout en se promettant bien de réclamer ses appointemens, supprimer l’armée, la magistrature, l’administration ? Ce sont choses trop naturelles. Quoi encore ! Si on lui demandait un peu de bon sens, le candidat de la première circonscription serait capable de songer à s’en procurer, rien que pour obéir au peuple souverain ; mais on n’est pas si exigeant aux Folies-Belleville. Il suffit de déraisonner en famille sur la république, sur le socialisme, sur l’expropriation à bref délai des industries après la révolution, sur Pharamond et la loi salique, qui interdit à l’impératrice de se mêler des affaires de l’état. Notez ceci, que nous n’inventons pas : l’univers en ce moment a les yeux fixés sur la France, la France a les yeux fixés sur Paris, Paris à son tour contemple la première circonscription, la première circonscription n’a de regards que pour M. Henri Rochefort, — d’où il suit que tout est suspendu au froncement de sourcils de l’auteur de la Lanterne. C’est le commissionnaire du peuple, le factotum de la démocratie ; il va en Angleterre chercher Ledru-Rollin, qui l’éconduit le mieux du monde, il revient à Paris recommencer les discours qu’il a déjà faits. Et c’est ainsi que les choses se passent tous les jours, depuis deux semaines, entre huit heures et onze heures du soir, dans quelques coins de cette ville dont le génie a rayonné sur le monde. Écartons ce qu’il y a de plaisant, de tristement plaisant, dans ces réunions où s’élaborent les candidatures radicales. Au fond, ce mouvement de démocratie extrême, tel qu’il se dessine à la pleine lumière, a des caractères graves qui jurent étrangement avec ses prétentions. C’est une tentative désespérée pour dénaturer et confisquer un travail d’affranchissement intérieur commencé au nom de la liberté, pour faire d’un réveil puissant d’opinion une victoire pour toutes les idées révolutionnaires, pour la coalition nouvelle du jacobinisme et du socialisme. Ce n’est même pas une protestation saisissable contre le 2 décembre, chose qui pourrait se comprendre ; la plupart de ceux qu’on présente comme les personnifications vivantes de cette protestation n’ont point été les