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miné les récentes réformes constitutionnelles, en même temps que d’un autre côté, par une déférence due à son nom et à ses services, ou porterait M. Thiers à la présidence du corps législatif.

De toute façon, il faut se mettre à l’œuvre. Le gouvernement ne peut plus fermer les yeux sur les conditions nouvelles de son existence et de son action ; le parti libéral de son côté est mis en demeure de dire ce qu’il veut et de montrer ce qu’il peut. La force des choses se charge du reste. On s’inquiète souvent de l’opinion des étrangers sur nos affaires. L’autre jour, un Anglais des plus clairvoyans en parlait familièrement. « Il faut avouer, disait-il, que les Français sont un singulier peuple, doué des plus brillantes qualités, mais en même temps paraissant dénué des notions politiques les plus simples. D’après ce qui se passe parmi vous, il est évident que vous voulez ignorer cette vérité, que l’idéal en politique est un gouvernement faible soutenu par les gens éclairés, c’est-à-dire assez fort pour se tenir debout avec de bons appuis, pas assez fort pour se soutenir tout seul. Lorsque vous avez en France un gouvernement, vous faites ce que vous pouvez pour l’affaiblir, et, lorsque vous êtes arrivés à votre but, vous vous hâtez de le culbuter juste au moment où il faudrait savoir s’en servir. Votre gouvernement a fait des fautes, dites-vous ; profitez-en, tirez-en parti pour votre liberté ; sachez redevenir maîtres de vous-mêmes sans vous préoccuper de rien renverser par la violence. Avec la liberté de la presse, la liberté du suffrage, que vous possédez maintenant, comme nous aurions bientôt fait, nous Anglais, d’accaparer le pouvoir sans révolution et sans même qu’on s’en aperçût. » Mais c’est assez ; à nous de montrer si nous sommes un peuple politique ou un peuple simplement révolutionnaire.

Tandis que nous en sommes à nos élections agitées, les affaires de l’Europe gardent une assez placide physionomie ; elles se déroulent tranquillement, sans secousses et sans révolution. Le parlement d’Angleterre ne s’ouvrira qu’au commencement de l’année prochaine ; le gouvernement autrichien est en vacances à la suite de l’empereur François-Joseph, qui s’est arrêté à Constantinople avant d’aller à Suez, M. de Bismarck, toujours enfermé à Varzin, ne paraît pas pressé de reprendre les affaires. L’idée d’un conflit européen, s’évanouissant par degrés, ne hante plus que quelques cerveaux échauffés, et cette confiance pacifique devient si générale qu’elle s’est manifestée récemment à Berlin d’une façon caractéristique. On a parlé déjà bien des fois d’un désarmement possible, accompli d’un commun accord par toutes les puissances ; il est malheureusement plus facile de parler d’un tel sujet que d’arriver à une solution. Ce désarmement, comment et dans quelle mesure s’accomplira-t-il ? qui commencera ? qui réglera la force militaire que chaque puissance doit avoir ? Un député de la fraction progressiste du parlement prussien, M. Virchow, a proposé l’autre jour à son pays de prendre l’initiative de