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attendiez pas à ce que MM, Meilhac et Halévy fissent un chef-d’œuvre, n’est-ce pas? Ne leur cherchons donc point querelle pour le procédé, et voyons seulement le parti qu’ils ont su en tirer. Froufrou, après s’être sauvée, va rejoindre à Venise M. de Valréas. Son mari survient, il tue Valréas en duel, et quelques mois après Froufrou meurt d’une maladie de langueur entre les bras de son mari, qui lui pardonne. Voilà en quelques mots le résumé des deux derniers actes. Combien nous sommes loin de la simplicité et de l’originalité du début! Ce que je reprocherai à ce dénoûment, ce n’est pas tant qu’il soit banal, car j’ai dit ici même que je ne faisais pas grand cas au théâtre de ce qui est nouveau; c’est qu’il n’est pas la conséquence logique du commencement, c’est qu’il dérange l’idée que le spectateur s’était accoutumé à concevoir du caractère de Froufrou. Durant les trois premiers actes, Froufrou paraît être une de ces femmes comme on en voit tant à présent, que la vie et la fortune ont gâtées. Ces femmes-là s’imaginent qu’elles sont épouses irréprochables parce qu’elles n’ont point été brutalement infidèles à leur mari, et bonnes mères parce qu’elles envoient chercher le médecin quand leur enfant est malade; mais elles n’ont point l’idée qu’il y ait des vingt-quatre heures de la journée un autre emploi à faire que de chercher des amusemens, et les grands devoirs, les grands intérêts de la vie demeurent pour elles lettre close. C’est là un type essentiellement moderne et parisien dont j’avais trouvé la peinture vraie, fine et neuve. J’ai donc été tout dérouté quand j’ai vu que la pièce de MM. Meilhac et Halévy finissait par verser dans cette vieille ornière de l’adultère qui depuis quelques années est si largement frayée. J’entends bien que la légèreté du caractère de Froufrou devait avoir sa punition, et que cela était nécessaire à l’action scénique; mais ne pouvait-on pas la conduire jusqu’au bord de l’abîme sans l’y précipiter. Était-il nécessaire de ternir cette gracieuse figure, et ne valait-il pas mieux, tout en la montrant coupable et punie, la conserver jusqu’à la fin idéale et pure? Au lieu de cela, on a préféré nous la montrer courant la prétentaine avec un jeune élégant aux dépens duquel on a commencé par nous faire rire, et recevant les notes de fournisseurs qu’elle ne peut pas payer, pour bien nous faire entendre qu’elle devra vivre des générosités de son amant, sauf ensuite à employer les grands moyens quand il s’agit de faire renaître notre intérêt pour elle, à la faire agoniser sur la scène. Et cela pourquoi ? Mon Dieu! il faut bien le dire, pour assurer, en recourant aux grands coups, le succès d’une pièce dont on craignait peut-être que le public blasé n’appréciât pas la finesse, pour faire pleurer les femmes et pour acheter à tout prix les applaudissemens.

En cette circonstance, MM. Meilhac et Halévy ont manqué de ce qu’un critique appelait naguère spirituellement « la probité littéraire, » entendant par là ce scrupule d’artiste qui détermine un auteur à faire aux délicatesses de l’art le sacrifice de certains effets vulgaires dont le succès