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est assuré. MM. Meilhac et Halévy ont le goût trop fin pour ne pas comprendre qu’en menant à mal la pauvre Froufrou ils lui ont enlevé une partie de son originalité. Quoi d’étonnant si, après avoir été jeune fille frivole, femme coquette, mère négligente, elle finit par devenir épouse adultère? Du moment que Froufrou cesse d’être honnête, elle cesse aussi d’offrir un type à part. Rien ne la distingue plus des autres femmes frivoles, et son nom devient légion. Aussi quand arrivent les éternelles péripéties du duel théâtral, l’attente fiévreuse, le retour du témoin, on oublie complètement le caractère de Froufrou pour ne songer qu’à son aventure. On avait fait la connaissance d’un personnage, on ne trouve plus devant soi qu’une situation. MM. Meilhac et Halévy ont-ils tiré du moins de cette situation tous les effets qu’elle comportait? Oui et non. Sans doute il y a tels instans où la salle est gagnée par une émotion à laquelle, moi qui parle et critique, je n’ai pas complètement échappé; mais le beau mérite de faire du bruit quand on tape à coups redoublés sur un tambour! En revanche, il y a des scènes dont l’invraisemblance touche à l’absurde, entre autres celle où Sartoris vient retrouver sa femme à Venise pour lui rapporter les deux millions de sa dot, soigneusement enfermés dans une enveloppe, ce qui est puéril, et pour lui annoncer qu’il va se battre avec Valréas, ce qui est brutal. Et quant à cette agonie de Froufrou qui fait verser tant de larmes à la partie féminine de l’auditoire, comme il s’en faut qu’elle soit traitée avec art et avec sobriété ! Or il faut de l’habileté, et beaucoup, pour rendre tolérable à la scène un aussi triste épisode. Quand Froufrou arrive expirante et se jette aux genoux de Sartoris, la situation a tout d’abord quelque chose de trop poignant. Cette jeune femme qui va mourir entre son mari, son père, sa sœur et son enfant, c’est un spectacle qui se peut difficilement supporter. J’admets à la rigueur qu’un auteur ait le droit, comme dans la Dame aux Camélias, de faire assister un amant à la mort de sa maîtresse : si cruelle que soit une pareille douleur, ce qu’elle a de romanesque et d’exalté la fait rentrer dans le domaine de l’observation dramatique; mais ces douleurs de famille, si intimes, si simples, si déchirantes, oh! elles sont sacrées! ne les profanez point par la mise en scène. Puis savez-vous ce qui arrive? Comme l’émotion au théâtre est chose essentiellement fugitive, comme Froufrou met un peu trop de temps à mourir, le spectateur recouvre son sang-froid, et, le sens critique se réveillant en lui, il se met en devoir de juger. Par exemple, quand Froufrou a un souvenir et un regret pour une certaine robe blanche et rose qu’elle affectionnait, il ne peut s’empêcher de penser à ce petit manchon tant désiré par l’humble ouvrière qui meurt dans sa mansarde au dernier acte de la Vie de Bohême. Copie, murmure-t-il, copie! et voilà tout l’effet détruit. Oh! qu’il est difficile de faire mourir artistement les gens!

En résumé, que restera-t-il de cette pièce, une fois le premier moment d’engouement passé? Trois actes de comédie excellens, deux actes