Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/55

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de prévoir : les troupes des frontières fournissaient un trop précieux et trop brave contingent pour qu’il n’y eût pas un intérêt capital à bien aménager cette pépinière d’hommes valides et vaillans. L’archiduc ne se contenta pas d’inspecter lui-même les confins; il y envoya des officiers intelligens, qui passèrent plus d’une année à les visiter canton par canton; il interrogea beaucoup de gens du pays. Il fit plus : il annonça que quiconque avait des abus à dénoncer ou des améliorations à lui proposer n’avait qu’à lui écrire personnellement. L’appel fut entendu; sans parler des lettres, plus de deux cents projets lui furent présentés; tous furent étudiés et analysés. Ce travail dura plusieurs années. Les résultats de l’enquête furent exposés dans un travail dont l’empereur adopta les conclusions. Ainsi fut promulguée, le 7 août 1807, sans le concours d’aucun parlement, l’ordonnance connue sous le nom de loi foncière des confins.

C’est l’acte le plus important de cette législation obscure et compliquée. Le législateur de 1807 s’est montré, nous le verrons, dur et inflexible : il a sacrifié un million de sujets autrichiens à ce qu’il nommait le bien de l’état, à ce que nous appellerions plutôt les convenances et les intérêts d’une monarchie militaire; mais au moins il est clair et logique, tout se tient dans son système. D’ailleurs, par sa précision même, cette loi, quand elle entra en vigueur, constituait un progrès; elle fut acceptée comme un bienfait; en réglant les droits et les devoirs de chacun, elle mettait dans une certaine mesure un frein à l’arbitraire. C’est ainsi qu’elle a mérité d’avoir une durée que n’avait pu atteindre aucun des codes antérieurs; jusqu’en 1848, elle est restée la charte des confins. Après la révolution de cette époque, il y a été introduit quelques changemens qui portent plus sur les mots que sur les choses : c’est encore la loi de 1807 qui est la hase de l’organisation actuelle. Ce sera donc en l’analysant et en l’expliquant que nous mettrons en lumière les traits saillans de ce régime, monument d’une période aujourd’hui close, vraie curiosité archéologique qu’il est piquant de rencontrer à quelques heures de Vienne, ce Paris de l’Allemagne.


II.

Avant 1848, les terres des confins étaient attribuées aux Gränzer à titre de bénéfice ou de fief perpétuel et irrévocable contre l’obligation du service militaire. Les colons avaient le domaine utile, l’empereur conservait le domaine direct. C’était, on le voit, quelque chose d’analogue à la féodalité; seulement on n’avait pas d’autre seigneur que le souverain. Il n’y a jamais eu dans les confins de