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d’induire que la liste des corps simples, des espèces de la chimie, n’est pas encore épuisée. La méthode de l’analyse spectrale a permis à M. Bunsen, le collaborateur de M. Kirchhoff, de découvrir deux substances encore ignorées, le rubidium et le cœsium. Le même artifice a mis en 1861 un chimiste anglais, M. Crookes, sur la piste d’un troisième métal, le thallium, dont les caractères chimiques sont fort extraordinaires. Enfin en 1863 on a trouvé par le même procédé un quatrième métal fort rare, qui se nomme l’indium.

L’analyse spectrale a donc révélé la nature chimique de cette enveloppe brillante que les physiciens nomment la photosphère solaire. Nous savons que là se trouvent en quantité abondante et à l’état libre tous les corps qui nous sont connus, que ces atomes absorbent une partie de la lumière qui sort du noyau solaire, la dépouillent d’un nombre considérable de rayons, de telle sorte que ce que nous appelons la lumière blanche n’est déjà plus qu’une lumière appauvrie et diminuée. Au-delà de ce disque qui se détache sur le ciel avec netteté, le soleil n’a-t-il point ce qu’on pourrait appeler une atmosphère, une enveloppe invisible à nos regards, parce que son éclat est entièrement effacé par une lumière plus ardente ? On sait avec quelle rapidité la pâle lumière de la lune et les rayons obscurs des étoiles s’éteignent devant le soleil ; à plus forte raison comprend-on qu’une atmosphère, même incandescente, paraisse invisible autour d’un foyer tel que l’astre central. Il est pourtant des jours où, comme pour servir la curiosité du savant, ce grand foyer se couvre d’obscurité : je veux parler des éclipses totales. L’écran lunaire se place alors devant le soleil, et on peut observer pendant quelques instans les régions qui environnent la photosphère. Que se passe-t-il alors ? Le cercle noir reste enveloppé d’une lueur, semblable à une gloire, qu’on nomme la couronne. Sur les bords mêmes du disque reposent comme des nuages aux formes les plus capricieuses, qui, pendant l’éclipse, s’illuminent d’une douce couleur rose ; ces appendices, extérieurs à la photosphère, ont reçu le nom de protubérances ; on dirait des découpures bizarres. Elles ont une épaisseur qui va jusqu’à 3 minutes de hauteur angulaire.

On s’est longtemps demandé si ces nuages rosés étaient de simples apparences ou des jeux d’optique, et l’on a douté quelque temps qu’ils appartinssent au soleil même. Le premier, M. Otto Struve, le directeur de l’observatoire de Poulkowa, d’après des observations faites pendant l’éclipsé de 1851, réussit à rattacher d’une façon certaine le mouvement des protubérances à celui de l’astre, et démontra ainsi qu’elles en étaient bien des annexes. Lors de l’éclipsé totale du 18 juillet 1860, M. Yvon Villarceau, qui, avec M. Chacornac, alla faire ses observations en Espagne, confirma l’opinion de