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M. Struve. Si les protubérances sont des corps véritables entraînés dans le mouvement du soleil, il est clair que deux observateurs qui à une distance un peu grande en pourraient faire des dessins obtiendraient des figures comparables. Or, pendant cette même éclipse, le père Secchi, le directeur de l’observatoire romain, prit des photographies du soleil éclipsé au Desierto, et M. Warren de La Rue en rapporta d’un lieu nommé Rivavellosa, séparé du précédent par toute la largeur de l’Espagne. En comparant ces photographies, on obtint la certitude que les protubérances sont des objets solaires bien réels et ne sont point de capricieux effets de la réfraction.

Restait à découvrir la nature physique et chimique des protubérances. Cette découverte a été faite dans le courant de l’année dernière presque simultanément par deux astronomes, dont l’un était à Londres et l’autre dans l’Inde. M. Janssen, astronome et physicien français, avait été envoyé par l’Académie des Sciences dans ce dernier pays pour y observer l’éclipse totale qui eut lieu le 18 août 1869. Il avait choisi pour station Gontoor, une ville placé à peut près à égale distance du golfe du Bengale et de la chaîne himalayenne. Au moment de l’obscurité complète, l’image prismatique solaire fut remplacée par les spectres de deux corps lumineux plongés dans l’atmosphère solaire, de deux protubérances. « L’une d’elles, je copie l’observation de M. Janssen[1], celle de gauche, est d’une hauteur de plus de 3 minutes ; elle rappelle la flamme d’un feu de forge sortant avec force des ouvertures du combustible, poussé par la violence du vent. La protubérance de droite (bord occidental) présente l’apparence d’un massif de montagnes neigeuses dont la base reposerait sur le limbe de la lune, et qui seraient éclairées par un soleil couchant. » De la nature de ces spectres, on pouvait inférer la constitution chimique des protubérances. En effet, il n’y a que les gaz incandescens qui donnent des spectres uniquement composés de quelques raies brillantes ; or il se trouve que les spectres des protubérances étaient précisément de cette nature. M. Janssen y aperçut cinq raies très brillantes, rouge, jaune, verte, bleue, violette ; il en conclut immédiatement que les protubérances sont gazeuses. La position des raies lui décela en même temps la nature chimique de ces appendices solaires : les plus visibles se trouvaient coïncider avec celles qui caractérisent le gaz hydrogène ; mais M. Janssen n’eut pas seul le mérite de cette découverte M. Rayet notamment, un officier de la marine française, avait regardé aussi les protubérances à travers un spectroscope, le 18 août

  1. Comptes-Rendus de l’Académie des Sciences, 15 février 1869. — Lettre écrite à Calcutta le 3 octobre 1868.