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une adresse infinie pour perpétuer le mariage de l’homme et de la terre, pour créer et entretenir d’un bout à l’autre des confins une classe de soldats-paysans assez aisés pour ne rien coûter à l’état, trop pauvres et trop dépendans pour s’instruire, pour concevoir des espérances dangereuses et se dégoûter de leur métier. Cette loi, l’application en est confiée à un corps d’officiers qui a des traditions et de l’expérience, et dont tous les membres sont intéressés à la prospérité de l’institution. Pourtant, selon toute apparence, ces précautions auraient été déjouées depuis longtemps, le système aurait échoué contre la force des choses, s’il avait eu à lutter contre l’habitude et l’instinct de la propriété individuelle, contre les ambitions et les énergies qu’elle éveille dans le cœur de l’homme. Heureusement pour les législateurs des confins, ils trouvèrent chez les Slaves méridionaux, Croates ou Serbes, une constitution particulière de la famille et de la propriété qui favorisait singulièrement leurs desseins et dont ils profitèrent avec habileté. Les Valaques du Banat présentent le même phénomène; ils entrèrent donc avec la même facilité dans les cadres d’abord préparés pour les Slaves.

Ce qui caractérise ce régime, très semblable à celui qui subsiste et résiste encore, en dépit du code civil, dans quelques-unes de nos vallées pyrénéennes, c’est que la propriété foncière y est non pas individuelle, mais collective, qu’elle y est répartie entre des associations que l’on appelle zadrouga chez les Yougo-Slaves, communitas dans le latin, qui était jadis la langue officielle de la Hongrie, et Hauscommunion dans l’allemand administratif des confins. Voici, en négligeant quelques différences de détail qui tiennent à des usages locaux, ce qui existe en pays slave de temps immémorial.

Les enfans d’un même père ou d’un même aïeul restent réunis dans une même habitation et forment une sorte d’association fondée sur le lien de famille, une vraie société coopérative pour l’exploitation d’un fonds commun et indivis. Ce n’est pas, comme chez nous, à l’individu, c’est à la famille que se transmet le patrimoine. C’est ordinairement le plus âgé des hommes qui a la conduite des affaires communes et le droit de commander; mais il n’y a là rien d’absolu. Si les associés craignent que leurs intérêts ne soient compromis entre les mains de ce doyen d’âge, ils peuvent le déposer et lui donner comme successeur n’importe lequel d’entre eux, celui qui leur paraît présenter le plus de garanties d’ordre et de capacité. On a vu le fils, élu par le libre choix de ses co-associés, donner, en qualité de chef du groupe, des ordres à son père.

Celui que désigne ainsi son âge ou que l’élection a porté au premier rang est le gérant de la société; quand il sait écrire, il a la signature; en tout cas, il a l’autorité et la responsabilité. C’est lui qui ordonne et divise le travail, c’est lui qui conclut les marchés.