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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/622

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besoins sont moindres parce que l’existence est moins compliquée, moins factice, plus pauvre en général, il n’en va pas ainsi. L’ouvrier, — le mot existe à peine — l’artisan, commence l’objet qu’il finira. Il prend le travail au début, il en trace les contours, il le comprend, il l’exécute dans toutes ses parties. S’il doit parfaire quelque devise écrite qui fasse corps avec l’ornementation, il est capable d’en saisir le sens, il en ordonne les divisions, il sait écrire ; nul n’est illettré. Il emploiera tout un jour, toute une semaine, tout un mois, à terminer ce qu’il a entrepris, et l’œuvre ne sortira pas de son échoppe avant d’être achevée. Le temps n’est pas encore de l’argent là-bas, et l’on y est moins pressé de vivre. Au surplus, l’objet fabriqué ne perdra point subitement le quart ou la moitié de sa valeur sans autre raison que la mode et l’avènement d’un goût nouveau. Un dessin passe de famille en famille, il se transmet comme un héritage. Si nous en croyons les partisans déclarés de ces peuples, qui sont devenus immobiles depuis tant de siècles, combien de choses nous aurions à leur envier, à eux et à leur pays, sans parler de la chaleur de leur soleil ! Les objets que nous tirons de chez eux gardent tous une certaine personnalité.

Un orateur estime que nous devons les dépasser : on peut affirmer que quelques-uns de nos moyens sont supérieurs, notre outillage notamment ; mais, suivant l’objection faite, l’industrie, à mesure qu’elle prend des forces, appelle une organisation logique, intrépide, inexorable. Rien ne peut émaner d’elle qui sente l’être humain. Un seul dessinateur imprimera-t-il la vie, sa vie personnelle, à douze cents ouvriers à qui on a retiré la leur ? Reviendrons-nous à la petite boutique de nos pères ? Comment modifier l’état des choses ? — M. de Longpérier prend alors la parole pour établir que la dépendance de l’ouvrier n’est pas si absolue qu’on veut bien le dire, et que d’ailleurs elle comporte un remède. Il ajoute que l’art français se livre trop à l’imitation, et il l’explique par les caprices du public dont le goût n’est pas encore formé. Nous avons le tort, dit-il, de tenter des contrefaçons de tous les siècles, de toutes les époques, le gothique après la renaissance, après le grec l’assyrien, quand nous n’allons pas chercher au Japon ou en Chine les lignes, la figure des objets de nos convoitises. Ces objets, nous les estimons d’autant plus que nous en entendons moins le sens. Quand les Japonais dessinent un paon., ils le copient. Écrire et dessiner c’est tout un pour eux, ils n’ont qu’un mot pour exprimer ces deux choses ; aussi les Japonais, qui regardaient en 1867 faire un dessin, s’écriaient : « Cela est bien écrit. » Ils prennent un paon de leur pays, ils le connaissent bien, ils sont en état de le voir sous toutes ses faces sans aller étudier trop loin. Ainsi du reste : ils gardent leur liberté. Leur