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la sécurité en gardant le droit d’arracher à leurs foyers, chaque fois que la guerre éclate, tous les hommes valides, presque tous les pères de famille ! La première fois que vous tenteriez une de ces levées, si une révolte n’éclatait pas, vous n’auriez que des réfractaires ou de mauvais soldats. L’autre constitution de la propriété a des effets tout contraires. L’activité individuelle y est moins sollicitée et moins éveillée; chacun en effet n’y a qu’une part très restreinte de responsabilité et peut y compter sur les autres; l’homme y est moins maître de sa personne et de sa vie, moins nécessaire aux siens; aussi y demeure-t-il plus indolent, plus apathique. C’est là ce qui fera de lui, aux mains de l’autorité militaire, une matière plus docile et plus molle. Habitué à recevoir dans la communauté sa tâche des mains du patriarche, il obéira de même, en homme qui se sent né pour toujours obéir, au sergent et au capitaine. Ainsi donc, si la propriété collective n’avait pas existé, les commandans des confins, avant d’établir leurs colonies, auraient dû l’inventer. Combien il leur était plus avantageux et plus commode de l’y trouver tout organisée, de bâtir leur édifice sur ces fondemens qui semblaient préparés tout exprès pour le recevoir !

Cet avantage, le législateur en a senti tout le prix, et pour mieux encore approprier à ses desseins le régime de la communauté et en assurer la durée, il a pris le parti de le consacrer et de le réglementer. La loi foncière de 1807 et celle de 1850, qui la suit pas à pas, contiennent tout un ensemble de dispositions qu’un économiste aurait plaisir à étudier en détail : il y là toute une série d’articles qui embrassent toute la matière, qui déterminent comment les communautés se forment, s’administrent et se dissolvent, d’après quels principes la propriété s’y répartit et s’y transmet, quelle situation y est faite aux personnes et aux biens, quels sont les droits et les devoirs de chacun des membres. La plupart de ces dispositions ont été empruntées aux usages du pays, tels qu’ils existent chez tous les Slaves méridionaux, et ne sont guère que la rédaction de la coutume, que la traduction des mœurs en un droit écrit. Seulement sur ces usages se sont adroitement greffées certaines prescriptions calculées pour mieux serrer la chaîne du soldat des frontières, pour établir un indissoluble lien entre le régime patriarcal et l’institution des confins.

Ainsi la loi ne reconnaît le droit d’être chef d’une communauté, patriarche-gérant, qu’à celui qui a passé l’âge du service actif, c’est-à-dire qui a une cinquantaine d’années. Un homme jeune, actif, intelligent, ne peut songer à bâtir une maison pour y installer sa femme, y élever ses enfans et y vieillir au milieu de la famille qu’il aura fondée, au centre du petit domaine qui sera son œuvre et