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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/64

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son orgueil. Jusqu’à ce qu’il soit presque un vieillard, la loi le traite en mineur; elle le soumet à une double tutelle, celle du patriarche dans la maison, celle de l’autorité militaire, qui intervient dès qu’elle en est requise pour prêter main forte à l’autorité domestique. L’homme ou la femme ne peut travailler hors de la maison et du domaine commun sans le consentement du patriarche. Cependant, alors même que cette permission a été obtenue, une portion du gain ainsi réalisé doit être versée dans la caisse de famille. Si le travail fait au dehors l’a été sans le congé du chef de la maison, tout le gain revient à la caisse commune. L’associé qui se rend coupable pendant le cours de l’année et à plusieurs reprises de désobéissance ou de paresse peut, lors de la répartition des bénéfices, être privé de la part qui lui reviendrait.

De cette situation doivent naître souvent des froissemens et des querelles. Si le Gränzer veut quitter une communauté où la vie lui est devenue trop difficile, il peut, autorisé par le patriarche et le capitaine, entrer dans une autre; mais, s’il sort de sa famille sans permission et ne s’agrège point à une autre, il est appréhendé au corps comme vagabond et reconduit dans la maison à laquelle il appartient. S’il s’échappe une seconde fois, il est puni de la prison ou du fouet. S’il récidive, s’il ne veut se fixer nulle part, on lui inflige une sorte de servitude pénale, on l’emploie comme voiturier dans les transports qui s’exécutent pour le compte du régiment. En revanche, la loi garantit au soldat sa part dans les fruits récoltés et dans l’argent gagné par l’association, qu’il ait ou non pris part aux travaux. Si les besoins du service le retiennent six mois, un an ou plus longtemps encore, loin du foyer, sa femme et ses enfans sont nourris pendant son absence, et il doit de plus trouver disponible à son retour la portion qui lui revient dans les bénéfices de la communauté.

La loi ne se contente pas de contraindre le Gränzer à rester membre d’une association; cette condition même remplie, il ne lui est pas permis d’employer sa force et son intelligence comme il le juge convenable. Commerçant ou habile artisan, il ne pourrait être aisément remplacé, comme pour les travaux de la terre, par un autre homme de la famille. Il lui serait déjà bien difficile de fournir à l’état, sans risquer de négliger ses affaires, les cent jours et plus que celui-ci demande chaque année aux soldats, des frontières en temps de paix pour exercices et patrouilles. A plus forte raison, en cas de guerre, aurait-il l’âme déchirée d’abandonner un fructueux négoce où nul ne pourrait le suppléer. De cet homme qui partirait ainsi désespéré de la ruine qu’on lui inflige, jamais on ne ferait un soldat qui eût du cœur à la bataille. Ce sont là les réflexions qui