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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/660

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positives, et se contentaient d’images, de comparaisons et d’apologues qui ne résistent pas à l’examen. M. Biot[1] a montré que Bernardin de Saint-Pierre et Chateaubriand doivent peut-être à ce défaut les atteintes qu’a pu recevoir leur renommée. Elle manque de sérieux parce qu’il ne leur reste que leur style. Le premier conserve dans les Etudes de la nature le talent qui brille dans Paul et Virginie, et personne ne les lit aujourd’hui. Comment nierait-on que les erreurs scientifiques en sont la cause ? Il met beaucoup d’art à montrer que les fleurs des climats froids ou des saisons froides sont blanches, parce que la couleur blanche est la plus propre à réfléchir la chaleur sur les étamines. Les plantes de l’été sont à ses yeux revêtues de couleurs foncées, éclatantes. Le lecteur se représente aussitôt la violette, l’anémone, la tulipe, qui manquent à la règle en un sens, la clématite, le jasmin, le liseron des haies, la pâquerette dans l’autre. Lorsqu’un écrivain ne sait pas observer ce qui n’échapperait pas à l’homme le moins attentif, il ne saurait prétendre à nous enseigner quoi que ce soit, et l’admiration qu’il inspire s’affaiblit avec la confiance.

Bernardin de Saint-Pierre n’est pourtant pas un auteur qui ignore ou dédaigne les sciences, et ses erreurs tiennent plus à des théories fausses qu’à des négligences. C’est un observateur imprudent en matière de causes finales, non pas un rhéteur qui ne se soucie que d’écrire élégamment. Sous ce rapport, il mérite moins les critiques de M. Biot que Chateaubriand. Celui-ci couvre des artifices de la diction des inexactitudes véritables et que ne rachète pas l’intention philosophique. Il n’est pas exempt de quelque goût pour les comparaisons tirées de la science, et vient souvent, cherchant un moyen d’effet nouveau, se brûler à ce feu, dont il ne voit que l’éclat. Il a comparé les systèmes de numération, dont il ne se rend nul compte, avec l’esprit des peuples divers condamnés au système décimal, et avec les équations célestes. Comment le croire sur l’un des points lorsqu’il se trompe si parfaitement sur les autres ? M. Biot a relevé les phrases suivantes : « ce globe à la longue année qui ne marche qu’à la lueur de quatre torches pâlissantes ; cette terre en deuil qui loin des rayons du jour porte un anneau comme une veuve inconsolable. » C’est sans doute de Jupiter et de Saturne qu’il s’agit. Cependant la révolution de Jupiter n’est pas plus longue que celle d’Uranus ; les quatre torches, qui probablement sont les satellites, ne pâlissent point, et ces satellites n’éclairent point seuls cet astre qui reçoit aussi les rayons du soleil. Saturne n’est point en deuil, et l’anneau, qui ne ressemble point à un anneau de veuve, ne fait point de Saturne une planète inconsolable.

  1. De l’Influence des idées exactes en littérature.