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plus habile que le chien, et pourtant l’homme prétend avoir amélioré celui-ci, qui n’est pas devenu entre nos mains l’égal de son analogue sauvage. Voici, par exemple, ce que dit de la louve M. Toussenel, dont la passion pour les animaux est si sincère et si vive, et dont on ne peut méconnaître la science vraie à travers les détours d’un style affecté :


« La louve, modèle de tendresse maternelle, apprend à ses petits, dès l’âge le plus tendre, à détester l’espèce humaine et à se défier de ses pièges. Elle leur dit la portée et la détonation de l’arme à feu. Elle leur recommande surtout de respecter les oies et les agneaux du voisinage, afin de ne pas trahir par une démarche inconsidérée le secret de leur domicile. Elle va même leur chercher au loin, à deux ou trois lieues quelquefois, la nourriture de chaque jour, un quartier de cheval mort, un mouton, une chèvre. Quelquefois elle se fait accompagner dans ses expéditions de nuit et de jour par un vieux loup dont elle réclame l’aide moyennant promesse de partage dans le butin. La louve apprend encore à ses louveteaux à emboîter le pas, c’est-à-dire à marcher à la file les uns des autres du même train et à placer dextrement leurs pattes dans l’empreinte de la patte de celui qui va devant. J’ai rencontré un jour, dans le rude hiver de 1829 à 1830, six grands loups qui traversaient ainsi la Loire à pied sec, les uns derrière les autres et le pas dans le pas. Vous auriez juré, à examiner leur trace sur la neige, qu’il n’était passé qu’un seul loup… C’est merveille de voir comme, dès la fin d’août, à l’époque où commencent les tribulations des louvats, ces jeunes animaux font déjà preuve d’intelligence, de savoir et de vigueur. J’ai vu des portées de louvats se faire battre six heures de suite dans la même enceinte sans qu’il en débûchât un seul, bien que les chiens donnassent presque continuellement à vue. C’était un change perpétuel. Celui-ci avait-il couru une demi-heure et se sentait-il épuisé, que celui-là accourait aussitôt pour s’offrir volontairement au change et laisser à son frère le temps de réparer ses forces, et chacun d’arriver à son tour pour subir la corvée redoutable pendant que la pauvre mère éperdue coupait et recoupait incessamment la chasse, essayant d’attirer la meute sur sa voie et de l’entraîner tout entière, par une pointe habile, bien loin du théâtre du combat. »


Il y a loin de cet animal attentif et rusé au brutal ravisseur de la fable, toujours prêt à tomber dans les pièges que lui tendent le renard ou l’homme. Le loup rarement se laisse prendre au traquenard ; il se défie de tous les appâts, et distingue les cadavres d’animaux morts et oubliés de ceux qui ont été à dessein placés dans la forêt. Est-il vraisemblable qu’il prenne la lune pour un fromage, et même qu’il s’expose autant pour une nourriture aussi légère ? Des voyageurs ont rapporté des preuves de l’intelligence presque