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de Britannicus ; il reçut la même éducation, il eut les mêmes maîtres ; il s’éprit pour son compagnon de jeux d’une affection que les princes manquent rarement d’inspirer, les familles d’entretenir. La mort de Britannicus interrompit ces beaux jours. Du même coup furent renversées de radieuses espérances qu’avait fait naître un devin consulté par Narcisse sur la destinée des deux adolescens ; il avait promis l’empire à Titus. On racontait que Titus avait trempé ses lèvres dans la coupe qui était tombée des mains de Britannicus, et qu’une goutte du breuvage préparé par Locuste avait suffi pour le rendre longtemps malade. La maladie, c’était la douleur, la retraite, l’ambition déçue ; le poison, c’était la cour où il avait vécu, les grandeurs entrevues, le contact d’un despotisme malsain. Agrippine fit écarter et poursuivre toutes les créatures de Narcisse. Vespasien dut se tenir loin de ses yeux, cacher sa personne et sa disgrâce. Titus retourna dans la maison sordide, pour se trouver en face de la misère. Il n’avait que quatorze ans. C’est à cet âge surtout que les blessures de la vanité sont cuisantes, parce que l’âme n’a pas encore assez de force pour s’élever au-dessus de l’adversité par le mépris. Les souvenirs de la cour de Claude et de Néron devaient demeurer ineffaçables au fond de son cœur, se transformant peu à peu en désirs, en projets et en résolutions.

Chez Titus, les qualités du corps et de l’esprit se développèrent avec équilibre. Quatre ans après, il était un homme. Il avait une belle physionomie, une force précoce, quoiqu’il ne fût pas grand. Il montrait d’égales dispositions pour la vie civile et la vie des camps. Habile à tous les exercices, souple, excellent cavalier, possédant le maniement des armes, il avait une mémoire admirable, improvisait en grec et en latin, écrivait avec la même facilité la prose et les vers, savait la musique, jouait assez bien de la lyre et chantait agréablement. Il était très fier de son écriture ; il imitait surtout dans la perfection l’écriture des autres. Il répétait plus tard avec complaisance « qu’il aurait fait un très bon faussaire, » aveu imprudent dont il nous faut lui donner acte, et qui, dans des circonstances données, sera retourné contre lui.

La mort d’Agrippine amena une réaction dont Vespasien et son fils profitèrent. Vespasien, envoyé comme proconsul en Afrique, administra cette province honnêtement, s’y fit détester par sa sévérité, revint pauvre, engagea ses terres à son frère pour se procurer quelque argent. Avec cet argent, il acheta, vendit et revendit des mulets et des chevaux ; en un mot, il se fit maquignon, et ses contemporains lui donnaient volontiers ce surnom. Il encourut une nouvelle disgrâce, parce qu’il s’endormit profondément au théâtre un jour que Néron chantait. Ce n’était rien moins qu’un crime de