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lèse-majesté qui lui aurait coûté la vie, s’il avait été riche et plus illustre. Il disparut, s’ensevelit dans une petite ville écartée et sans nom, où les voyageurs ne passaient jamais. Quant à Titus, il avait été faire ses premières armes en Germanie et dans la Grande-Bretagne. Il y déploya toutes ses qualités, montra autant de modération que de courage, acquit de la renommée. On a même dit qu’il fut nommé tribun militaire, ce qui est peu vraisemblable à cause de sa jeunesse, et qu’on lui éleva des statues dans l’une et l’autre province, ce qui ne devint vrai qu’après l’avènement des Flaviens. Entraîné par l’infortune paternelle, il revint à Rome, se tourna vers le barreau ; il y parut honorablement plutôt qu’avec assiduité ; c’était une convenance et un complément d’éducation pour tout Romain de distinction. Il fut accueilli chez les chefs du parti stoïcien auxquels Vespasien avait été recommandé par Plautius, son ancien général. Titus entrevit prudemment ces grands personnages, si hostiles au gouvernement impérial, si intègres jadis dans leurs fonctions, si fiers depuis dans leur abstention, Sentius, Baréa Soranus, Thraséa, âmes républicaines, qui protestèrent jusqu’à la mort contre le principe du césarisme, et qui préparèrent par leur martyre le règne des sages et de la philosophie. Titus puisa dans ce commerce non l’amour de la liberté, mais quelque respect pour la vertu.

Il atteignit ainsi l’âge de vingt-six ans. Il avait épousé Arrecina[1] Tertulla, fille du chevalier Clemens, qui avait été préfet du prétoire. Il la perdit peu de temps après, et prit une seconde femme, Marcia Furnilla[2], qui appartenait à une famille illustre, qu’il n’aimait point, et qu’il répudia dès que Vespasien fut empereur. Ce moment approchait, imprévu pour tous et pour ceux-là surtout qui se voyaient la veille sans avenir, sans crédit, sans ressources. La fortune se préparait à les accabler de ces faveurs inouïes qui font dire aux hommes qu’elle est aveugle. Néron, que la révolte des Juifs et les échecs de Cestius Gallus inquiétaient, avait cherché un général qui fût à la fois capable et obscur, capable pour relever la gloire de l’empire, obscur pour ne point exciter, comme l’avait fait Corbulon, la jalousie et les alarmes de l’empereur. On lui désigna Vespasien, le dormeur ; on le fit rire en lui peignant les terreurs et la pénitence volontaire du coupable ; on lui rappela sa bonne conduite en Bretagne et en Afrique. Vespasien fut tiré de sa retraite, connue de quelques amis, pour être mis à la tête de l’armée de Judée. Titus fut accordé à son père, qui obtint pour lui le commandement d’une légion.

  1. Les historiens l’appellent Arricidia ; mais c’est une erreur. Les monumens épigraphiques qui mentionnent son frère Arrecinius Clemens sont des textes plus sûrs que les manuscrits, et nous attestent qu’elle devait s’appeler Arrecina.
  2. Suétone l’appelle à tort Marcia Fulvia.