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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/685

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La Judée avait été administrée avec douceur dans le principe. Sous Claude et sous Néron, des procurateurs avides commencèrent à maltraiter les Juifs, à piller leurs biens, à blesser leurs croyances ; mais ils furent surpassés par Gessius Florus. Cruel, impudent, perfide, insatiable, Florus dévastait des villes entières, laissait organiser un brigandage effréné, dont il prélevait sa part, forçait un grand nombre d’Israélites à se réfugier dans les provinces voisines, se jouait des promesses qu’il avait faites comme des plaintes qu’on lui adressait. Il réduisit les esprits à un tel état de désespoir que la révolte était inévitable. Un jour il fit enlever le trésor sacré, alléguant qu’il était utile à césar. Le tumulte que cette violation causa dans Jérusalem lui servit de prétexte pour livrer la ville à ses soldats, qui pillèrent les maisons, torturèrent et tuèrent, selon Josèphe, plus de trois mille personne inoffensives. Ce massacre fut imité dans d’autres villes. Bientôt la Judéo fut en armes. Le préfet Cestius Gallus entreprit de la soumettre et fut battu. Dès lors la rébellion prit les proportions d’une guerre.

Vespasien, après avoir rétabli la discipline, poussa en avant les légions, donna l’exemple de l’intrépidité et de la vigilance, combattit souvent au premier rang, fut blessé plusieurs fois, et acquit une prodigieuse renommée. Les bons généraux étaient rares à une époque où les services rendus au pays devenaient presque toujours un arrêt de mort. Les armées de Syrie, de Mésie, d’Illyrie, qui connaissaient déjà Vespasien, se redirent à l’envi ses exploits : en peu de mois, il fut le héros des camps. Titus, de son côté, ne fut point avare de sa vie. Il eut un cheval tué sous lui ; une pierre le blessa si rudement à l’épaule qu’il en conserva toujours une faiblesse douloureuse dans le bras. Le père ne pensait qu’à faire vaillamment son devoir ; l’ivresse de l’action et le plaisir de commander lui suffisaient. Le fils sentait vaguement qu’une armée était une puissance, qu’elle avait fait déjà des empereurs et que Rome se lasserait des folies de Néron. Tel est en effet le prestige du soldat dans une société qui s’affaiblit. Quand tous les liens politiques sont usés, les liens militaires se resserrent. Quelle armée a eu une constitution plus belle que l’armée romaine, — intrépide, patiente, toujours prête, accoutumée à de rudes travaux, construisant les routes, les ponts, les aqueducs et fondant des colonies, étendant partout l’influence de l’administration et un ordre rigoureux, finissant par camper à perpétuité sous les climats les plus divers pour veiller à l’unité du monde ? Quelle armée cependant a été plus fatale à son pays ? Elle a multiplié les guerres civiles, le pillage, les proscriptions, soutenu tous les ambitieux, imposé les tyrans les plus odieux, enseigné le chemin de Rome aux auxiliaires qu’elle entraînait à sa suite,